Comment résumer The Childhood of a Leader, premier film de l’acteur Brady Corbet à l’improbable casting (Robert Pattinson, Bérénice Béjo, Yolande Moreau, Stacy Martin) ? C’est un échec indéniable, un film malade jusqu’à la moelle, mais aux très hautes ambitions : inspiré par une nouvelle de Sartre (L’Enfance d’un chef), le film se rêve comme un croisement entre Le Ruban blanc (revenir aux racines du mal) et L’Exorciste (la contamination d’un corps par une force invisible) dans une province française qui évoque les terres de Bernanos (Sous le soleil de Satan). Sciemment emberlificoteur, le film suit pourtant une trajectoire limpide : à l’aube des négociations du traité de Versailles, un dignitaire américain, impliqué dans les tractations, s’installe en France avec sa femme et son fils. D’emblée, ce dernier se comporte étrangement à l’égard de son entourage (sa mère, sa bonne, sa professeur de français), avant de commettre un acte de violence comme prélude à un épilogue dystopique qui éclaircit le titre. Sur le papier le projet est passionnant, mais Corbet ne fait rien de son postulat : il brouille les pistes, cache ici et là des indices qui trouveront un écho dans le dénouement (qu’on ne racontera pas – disons simplement qu’il se révèle extrêmement vain), et échoue à la fois sur le terrain de la fable politique et du film d’horreur déguisé. Les deux pistes à vrai dire se court-circuitent : le film cherche à remonter à la source du fascisme, en prenant comme toile de fond un évènement aux répercussions historiques immenses, mais le mal est ici une force fantastique et abstraite (on pense à Friedkin) qui va justement bouleverser le cours des choses et substituer l’émergence d’un totalitarisme à un autre, déconnecté de facteurs économiques et sociaux. Le film repose plus sur un montage dévitalisé de références et d’intentions (cf. la liste de philosophes et d’auteurs affichée dans le générique de fin) qui ne mène nulle part : dans les faits, The Childhood of a Leader ne raconte le plus clair de son temps que l’histoire d’un garçon mal élevé qui refuse de sortir de sa chambre, le tout cadré n’importe comment caméra à l’épaule et éclairé à la bougie.
Pourtant le film vaut tout de même le détour pour sa musique, composée par l’immense Scott Walker, qui occupe une place primordiale – la structure du long métrage est d’ailleurs calquée sur celle d’un opéra (ouverture, trois actes et un grand final), et le générique de fin s’ouvre sur une mention au musicien. Corbet réalise ici un fantasme de cinéphile mélomane : faire de ces mélopées cauchemardesques et dissonantes que Walker compose depuis Tilt (1995) la bande-son de l’apocalypse. Chaque nappe de cet alliage flamboyant de percussions et de cordes qui se déverse sur l’écran rachète les afféteries de la mise en scène – un mauvais rêve prémonitoire, le plan final où la caméra semble comme fixée à un derviche tourneur, etc. – et parvient tout de même à nous galvaniser face à ce premier film presque intégralement raté.