Le CNDP (Centre national de documentation pédagogique) édite pour la première fois en DVD une sélection des films réalisés par Éric Rohmer pour la télévision dans les années 1960. Destinés à être diffusés dans les classes de lycée, ces films didactiques d’une vingtaine de minutes sont accompagnés d’un documentaire et d’un entretien avec le cinéaste.
Pour Éric Rohmer, les années 1960 ne représentent pas seulement la décennie qui a vu naître ses premiers longs-métrages de cinéma mais constituent également une période de transition entre les années Cahiers et l’accès définitif à la réalisation cinématographique. Le cinéaste ne signe que deux longs-métrages à cette période (Le Signe du lion et La Collectionneuse) contre une quinzaine pour Jean-Luc Godard ou encore Claude Chabrol. Les années 1960 sont pour Rohmer des années de passage, marquées par une incursion à la télévision et pas n’importe laquelle : la télévision scolaire.
Inutile de s’attarder sur le documentaire consacré à l’œuvre télévisuelle du cinéaste qui ouvre cette anthologie, ce document-somme ne faisant que regrouper des images que l’on découvre progressivement dans ce coffret (extraits d’un entretien avec Rohmer et des films présentés dans la sélection). Suivent un entretien avec René Clair, Jean Rouch et Jean-Luc Godard (qu’on a plaisir à voir s’indigner de l’attitude de ceux qui ne parlent de cinéma qu’au dessert lors des dîners) et un entretien d’1h50 avec Rohmer, qui tient davantage de l’entretien radiophonique que de l’entretien filmé (sans cadre et sans mise en scène).
Passée cette fastidieuse entrée en matière, on découvre enfin les formes courtes qu’Éric Rohmer a consacrées aux sujets de son choix : architecture, science, littérature et cinéma sont au programme. Cet ensemble un peu rude regroupe douze des films réalisés par Rohmer pour la télévision scolaire. Le premier opus : Métamorphoses du paysage, sur l’industrialisation du paysage français, tire son épingle du jeu. Cousin du travail photographique de Bernd et Hilla Becher, le film déplie un catalogue de constructions industrielles photographiées en noir et blanc, sur lesquelles se pose une voix off volontiers plus poétique que didactique : « Cette beauté est difficile. Difficile à découvrir, à admettre. Elle est paradoxale. Car il y a paradoxe à rechercher la beauté dans un monde qui lui tourne délibérément le dos. Un monde voué au chaos, à l’informe, au perpétuel changement, à l’inachevé. Un monde qui porte la marque, contrairement au monde champêtre ou urbain, moins de la joie créatrice de l’homme que de sa sueur et de sa peine ».
La technicité de certains discours ne facilitera pas l’accès à certains des films suivants, comme cet Entretien sur le béton, dans lequel les architectes Claude Parent et Paul Virilio s’entretiennent sur les qualités de la matière citée dans le titre. Ou ces Cabinets de physique au XVIIIe siècle, reconstitution en costumes qui voit un homme et une femme en perruque reproduire des expériences scientifiques d’un côté et Éric Rohmer s’entretenir avec un physicien de l’autre. Sur fond de clavecin, les deux hommes se déplacent selon une mise en scène parfaitement réglée, tandis que le cinéaste, livre en main, cite Voltaire et Newton. Il y a une grande tenue dans le ton et la forme de ce film, jusqu’à l’austérité. Et si l’exotisme de la reconstitution peut faire sourire, on préfèrera s’intéresser à cette étude scientifique comme à une curiosité plutôt que pour la leçon qu’elle délivre.
Ces films destinés aux spécialistes, ces petites curiosités, qui connurent en leur temps un succès relatif auprès des gens de cinéma et qui, de l’aveu d’Éric Rohmer lui-même, ne s’avèrent finalement pas très pédagogiques car trop complexes pour des élèves de lycée, nous disent quelque chose sur l’opacité de certains langages. Face au discours de l’architecte ou du physicien (qui renvoient tous deux finalement au discours du cinéphile sur le cinéma), le spectateur novice devra surmonter cette difficulté du langage pour ne pas être dérouté et rester à l’entrée.