Même pas cinq jours de festival, et on tient déjà un candidat sérieux à une palme : celle du film-phénomène le plus pathétique de cette Quinzaine des Réalisateurs. Synopsis : un père et sa fille ado visitent une maison qu’ils comptent racheter à un ami et qui a grand besoin de restauration. Ces trois personnages mettront soixante-dix-neuf longues minutes de faux film-plan-séquence — du point de vue de la fille — pour disparaître dans des circonstances sanglantes entre les murs lugubres. Évidemment, la performance a quand même fait pas mal applaudir (à moins que ce n’ait été l’effet de la révélation-finale-qui-tue). Un plan-séquence, même truqué, ça impressionne toujours, proportionnellement à sa durée : l’illusion de captation du temps réel, la tension maintenue par ces raccords qu’on attend et qu’on ne voit pas arriver, le verrouillage à un point de vue au parcours continu et tout ouvert au hors-champ. Soit une contrainte productrice de maints effets dont la séduction est, sans surprise, à double tranchant : ceux-ci en attirent d’autant mieux les réalisateurs désireux de signifier leur emprise et leur virtuosité, au détriment du désir de filmer vraiment leurs sujets. Et les exemples de cette complaisance-là sont déjà nombreux (notamment chez les élèves autoproclamés de Tarkovski, de De Palma, d’Antonioni…). Ainsi, quand on nous annonce ici un film d’horreur uruguayen en un seul plan-séquence, on a déjà peur : le genre horrifique et le thriller sont, on le sait, parmi les meilleurs prétextes pour un réalisateur (même camouflé derrière des intentions auteurisantes, comme Haneke ou même Mendoza réalisant Kinatay) de jouer les gros bras à peu de frais aux dépens de son public, et un dispositif de plan-séquence arriverait à point nommé pour exercer un tel coup de bluff. Et notre peur a priori confine à la panique à la découverte de l’étiquette sensationnaliste « basé sur une histoire vraie » épinglée par-dessus la chose…
Puis le film démarre et, quand on découvre en quelques minutes de quelle façon réalisateur, acteurs et techniciens se tirent de ce postulat de départ, on hésite, effaré, entre deux manières de voir. Piste un : le film pourrait résulter d’un pari de geek d’enfiler comme des perles tous les effets du pire cinéma d’horreur européen, disons espagnol (c’est-à-dire qui joue à être son cousin d’Amérique avec des moyens inférieurs, mais surtout une vision du genre tout à fait famélique, avec ses effets choc à la petite semaine et sa musique d’angoisse cheap à faire ricaner John Carpenter), le tout sans raccords flagrants, donc, pour motiver le cadreur à multiplier les tours de force pour justifier son temps de travail et balayer un peu l’air (360° autour de la fille, furetage entre les meubles, cadrage de quelques miroirs…). Piste deux : la conservation rigide de la ligne temporelle et spatiale dans le récit permettrait en réalité une mise à nu assez perverse des effets et de la mécanique de ce sous-cinéma bis en quête de crédibilité (« détachement » temporel des passages mis en musique, des effets « bouh »).
Mais plus le film avance et prend son affaire au sérieux, se complaisant dans des effets d’ambiance indigents (les rais de lumière qui vrombissent, brrrrr), continuant d’accumuler un bric-à-bric visiblement tout emprunté à un Jaume Balagueró déjà recycleur douteux (effet reportage à la Rec, silhouettes furtives traversant l’arrière-plan, fillette-zombie à grosses cernes et cheveux noirs, sévices sur des enfants et j’en passe), plus la seconde hypothèse apparaît décidément comme un jeu de l’esprit gratuit, voué à s’écraser devant la première, la pire, la seule. Le dernier quart d’heure, avec changement inopiné de point de vue (tuant net le rapport spectateur-victime né de la subjectivité) et retournement de scénario crapoteux et fracassant à souhait, achève de balayer les derniers résidus de potentiel horrifique et de laisser le film et son spectateur face à sa propre nature rayonnant en plein écran : la bande-démo bon marché d’un talent de prestidigitateur minable. Mais ce dernier, Gustavo Hernández, ne devrait pas s’inquiéter. Hollywood a bien gobé tout cru Blair Witch (quand même un peu plus consistant dans sa création de frousse avec du rien) et Paranormal Activity : ils vont sûrement adorer ce petit nouveau du même genre, le goût d’exotisme d’auteur latino en sus.