Il suffit à Christophe Honoré d’un plan très court, le tout premier du film, pour synthétiser en quelques secondes l’horizon de Chambre 212. Maria (Chiara Mastroianni) marche dans une rue parisienne, au son des premiers vers du « Pont Mirabeau », récités par Apollinaire lui-même. L’image, dont le grain prononcé évoque celui d’un enregistrement réalisé avec une caméra Super 8, est quant à elle très saccadée. Le défilement heurté de la pellicule et les craquements du phonographe plongent d’emblée le film dans une nostalgie dont le récit fera son miel. Un soir de rupture, dans la chambre 212 d’un hôtel de Montparnasse, les fantômes qui peuplent les souvenirs de Maria viennent à sa rencontre. Parmi ses conquêtes figure Richard, son mari, qu’elle trompe allègrement depuis plusieurs années et qui réapparaît tel qu’elle l’avait connu vingt ans plus tôt, sous les traits de Vincent Lacoste. À la manière d’un exergue, les vers d’Apollinaire annoncent donc autant le thème du film (les liens entre amour et mémoire) que le traitement réservé par la mise en scène : Honoré n’a en effet de cesse d’accumuler les déplacements de sens et les symboles (une poupée pour représenter un enfant qui n’a jamais été conçu ; des feuilles mortes tombant sur un lit lorsque deux amants s’abandonnent) afin de raconter la fin (possible) d’une histoire d’amour sur le mode de la fantaisie.
Comme de coutume chez le cinéaste, l’écriture repose ici moins sur la précision de la mise en scène et du découpage que sur l’accumulation de signes culturels (pêle-mêle : le cinéma « Les 7 Parnassiens », un ouvrage de Schopenhauer et une sonate de Scarlatti) disséminés au sein d’un bric-à-brac citationnel plus agaçant que grisant. On saura néanmoins gré à Honoré de réduire ici quelque peu la part référentielle de son cinéma pour travailler avec obstination son goût de la métaphore. À ce titre, le film donne l’impression de participer d’une dynamique nouvelle dans son œuvre où l’amateurisme et l’artifice, déjà sensibles depuis Dans Paris, seraient devenus les attributs principaux de son style de « cinéaste-romancier ». L’intérêt de cette approche réside avant tout dans sa capacité à défaire l’équilibre un peu précaire exploité systématiquement dans ses films précédents entre, d’un côté, le réalisme des situations dépeintes (dépression, deuil, sida) et, de l’autre, le lyrisme et l’optimisme que lui opposent les personnages. Reste que Chambre 212 remplace une dialectique par une autre, car elle se fait le spectacle d’une dichotomie entre, d’un côté, l’absence d’esprit de sérieux du scénario et, de l’autre, la lourdeur de la forme. Il n’est d’ailleurs pas anodin que l’exploration de la psyché de Maria, où domine la légèreté, s’accompagne d’une esthétique volontairement théâtrale, qui assortit les personnages d’une « pesanteur » inhérente au jeu des acteurs de la scène. En outre, l’espace de la chambre est décomposé en une série de cubes scéniques connexes survolés par de nombreux plans de grues en plongée verticale. Le film souffre du conflit permanent entre ce formalisme de « maison de poupées » et l’excentricité en roue libre des personnages, le pire étant sans doute l’apparition de la « Volonté » de Maria (Stéphane Roger), accoutrée en vieil imitateur précieux de Charles Aznavour. L’énergie dépensée en pure perte par les acteurs, Chiara Mastroianni et Vincent Lacoste en tête, pour injecter un peu d’allégresse à l’ensemble en dit long sur l’approche cinématographique d’Honoré : loin de se rallier à la liberté de ses personnages, elle repose sur l’exercice d’une contrainte qui n’a sans doute jamais été aussi étouffante que dans ce film.