L’idée au cœur d’Homme au bain (faire basculer une star du X dans le cinéma traditionnel) n’a rien de bien neuf, mais elle fascine à chaque fois. Elle se double ici d’une spécificité inédite : l’acteur en question s’appelle François Sagat, vedette internationale incontestée – et aujourd’hui « retraitée » – du porno gay, autant dire un genre dans le genre peu enclin à atteindre le public mainstream (encore que, des Inrocks à Technikart, la presse généraliste ait fait de sérieux efforts sur la question). Sagat, c’est un corps hors du commun, une gueule identifiable entre mille et un crâne tatoué qui lui donne des airs de molosse pas aimable – impression contredite par une voix douce, presque fluette, qui surprend peut-être plus que ses autres attributs (effectivement impressionnants). On comprend aisément l’envie de le filmer, de le plonger au centre d’un récit qui utiliserait cette matière charnelle à d’autres fins que celles, purement masturbatoires, sur lesquelles il a bâti sa carrière. Conçu dans le cadre d’une commande par le théâtre de Gennevilliers, Homme au bain est un projet à petit budget, produit et filmé dans l’urgence, et ça tombe bien : par le passé, Christophe Honoré a fait de ces contraintes de production un atout indéniable, donnant à son cinéma autrefois empesé une légèreté, une immédiateté irrésistibles (Dans Paris, Les Chansons d’amour, voire La Belle Personne).
Homme au bain, c’est l’histoire d’un amour qui se termine entre Emmanuel (Sagat) et Omar (Omar Ben Sellem). Le premier glande toute la journée dans son appart’ d’une banlieue indéfinie ; le second s’est cassé à New York pour suivre une actrice (Chiara Mastroianni) dans une tournée promo. Emmanuel est fou amoureux mais ne sait pas le montrer autrement que dans des rapports sexuels extrêmes : avant le départ, Omar se fait quasiment violer par son amant et le plante donc sans regret. Emmanuel a des difficultés à communiquer ; limite autiste, il traîne son désespoir en multipliant les plans cul sans lendemain pendant qu’Omar, armé de sa petite caméra, semble s’épanouir en filmant la star et un petit Québécois aux faux airs d’Al Pacino, rencontré sur son tournage.
Cela pourrait ressembler à un drame passionnel contemporain (deux mecs, la banlieue pour décor, une actrice glamour en bonus), genre galvaudé que Christophe Honoré a su par le passé relever d’un bel équilibre entre la révérence aux maîtres du passé et une impressionnante capacité à saisir l’air du temps (Paris, filmé comme jamais dans Dans Paris et Les Chansons d’amour). Mais ici, le cinéaste impressionne par sa volonté de se vautrer dans un déluge de clichés. Incapable de voir plus loin que le cul de son acteur-vedette, il se contente de le filmer sous toutes les coutures et de le réduire à son statut d’homme-objet. Au détour d’une jolie scène (la seule), il confronte Sagat/Emmanuel à un voisin américain (l’écrivain Dennis Cooper), amant/client habituel, dont le désir pour ce corps qu’il peut obtenir pour une poignée de billets s’est émoussé. Pourtant, Honoré ne fait rien de cet intéressant postulat : choisir un comédien dont le physique est sujet à fantasmes et lui offrir le rôle d’un homme dont plus personne ne veut. Entre les nombreuses scènes de sexe, filmées hypocritement (une jolie lumière sur les fesses rebondies de Sagat pour la caution « cinéma d’auteur », ça fait moins désordre que les gros plans d’un porno, trop crus) et les quelques scènes où l’acteur, hébété, doit improviser sur du vide, Christophe Honoré ne nous épargne rien : les moues désespérées de l’amant qui souffre (attention, la brute épaisse est douée pour le dessin, il va même esquisser le visage de son amoureux sur le mur du salon), les confidences avec la bonne copine qui se finissent par un faux plan à trois, la liaison de substitution avec un tout jeune mec qui va se prendre une bonne fessée et les scènes de rue, entre deux barres d’immeubles, pour montrer le vrai monde de dehors…
Le pire, aussi étonnant que cela puisse paraître, n’est pourtant pas là. Honoré nous invite aussi à suivre le journal de tournage d’Omar à New York : si vous aviez manqué les bonus du DVD de Non, ma fille, tu n’iras pas danser avec Chiara Mastroianni qui fait le tour des cinémas de quartiers pour vendre son film, c’est le moment ou jamais de vous rattraper. Cela n’a strictement aucun intérêt, mais ça n’est pas tout : un joli jeune homme pointe le bout de son nez, prétexte à une succession de plans sur sa belle gueule et sa silhouette impeccable et bien sapée, rapidement invité à tomber le slim et s’astiquer le manche devant la caméra pour… pour quoi déjà ? On ne sait déjà plus, et ce ne sont pas les vagues tentatives d’insérer le film dans un contexte politique et social (Chiara, dans son taxi, dit du mal de Sarkozy, ouh la la) qui apportent de l’eau au moulin. Dans le dossier de presse, en référence à son titre et au tableau de Caillebotte, Christophe Honoré avoue avoir souhaité « construire une fiction du début du XXIe siècle qui réponde à cet Homme au bain de la fin du XIXe ». À plus d’un siècle d’intervalle, la toile de maître est devenue une sacrée croûte.