Invité à Rennes pour la mise en scène d’une de ses pièces, Jacques, écrivain interprété par Pierre Deladonchamps, a donné rendez-vous après la représentation à un garçon (Vincent Lacoste) rencontré l’après-midi même. En sortant du théâtre, il aperçoit le jeune homme mais est empêché de le rejoindre par une indélicate amie comédienne qui, le raccompagnant à son hôtel contre son gré, évoque le Sida dont il est atteint. Plaire, aimer et courir vite passe par une scène de comédie burlesque (les jeux de signes et de regards auxquels sont contraints les deux futurs amants qui se suivent à distance) et verbale (virtuosité de l’outrance et du prosaïsme du monologue de l’actrice indélicate) pour annoncer le cœur tragique du film : ce mélange de tonalités fait toute l’habileté du scénario de Christophe Honoré. C’est dans la légèreté de cette écriture joyeuse que le réalisateur excelle à chorégraphier les corps désirants et inventer des situations amoureuses décalées. Pourtant, cet art du contre-pied donne au film une certaine roublardise. Car à vouloir sans cesse désamorcer le tragique, il tire souvent vers une sensiblerie qu’il prétend vouloir repousser. Traiter en souriant un sujet dont la gravité a marqué la jeunesse du cinéaste, dont le personnage d’Arthur peut être vu comme un double : ce sera tout le problème de la scène finale – le rendez-vous manqué des deux amants – dont le montage parallèle appuie le pathos qu’il avait cherché à éviter.
Concentré sur les derniers mois de sa vie, le film met en scène Jacques au centre d’un ballet d’hommes passés et futurs qui évoque tous les états possibles de la relation amoureuse. Il expose à Arthur, de quinze ans son cadet, une typologie d’amants élaborée à partir d’exemples littéraires. Dit au téléphone, ce fragment d’un discours amoureux raconte tout de la distance géographique, générationnelle et affective qu’Arthur s’efforcera de combler au long de leur histoire. Au-delà d’un effet de transmission d’une génération d’homosexuels à une autre dans une période cruciale – celle des années 1990 – sur le plan historique pour la communauté, le discours s’alourdit d’une dimension sentencieuse. Malgré la gourmandise avec laquelle Honoré fait de son film un musée imaginaire où se croisent ses films, chansons et textes préférés, on peut aussi y voir aussi un catalogue du bon goût un peu péremptoire. À l’image d’Arthur qui reproche à sa petite amie que sa bibliothèque soit dénuée d’un seul livre correct, la façon dont le film accumule les références peut devenir plombante à force de prendre des allures dogmatiques. Le ton professoral du personnage principal finit par déteindre sur le film. Mais c’est surtout la mise en scène qui vient régulièrement le lester d’un discours trop appuyé : la caméra qui tourne autour du visage de Vincent Lacoste, étourdi de découvrir Paris, le pied de l’ancien amour mort du Sida qui jaillit dans le plan de la baignoire. Dans ces moments, les effets de mise en scène trop visibles relèguent l’émotion derrière des intentions.