Le Lycéen s’offre d’abord au spectateur sous la forme d’un paysage, celui de Chambéry, que la caméra de Christophe Honoré embrasse dans un timelapse où se succèdent en accéléré le blanc des montagnes et le rose du ciel, la froideur livide de l’hiver et l’éclat d’un crépuscule précoce. Cette dualité chromatique est reconduite, tout le long du film, par d’incessants gros plans sur le visage de Lucas (Paul Kircher), adolescent à la peau diaphane dont les joues semblent toujours prêtes à rosir de froid ou d’émotion. Elle annonce aussi la structure binaire d’un scénario organisé autour de deux événements : d’abord le deuil (la mort du père, joué par Honoré lui-même, dans un accident de voiture), puis la naissance du désir (confié à son frère Quentin, Lucas « monte » à Paris et arpente la ville au gré de rencontres plus ou moins éphémères).
Le film pourrait donc se résumer à l’alternance de ces deux couleurs, le rose et le blanc, qui se disputent régulièrement le cadre et donnent parfois au spectateur l’impression d’être face à la copie carbone d’autres films d’Honoré (Dans Paris, Les Chansons d’amour, Plaire, aimer et courir vite), dont ne subsisteraient que les deux traits les plus saillants : l’amour et la mort. Entre ces deux pôles, le récit peine malheureusement à prendre corps, immédiatement plombé par sa tragédie inaugurale, puis adossé à une voix off redondante et entortillé dans d’inutiles allers-retours temporels. Ne reste plus que cette figure du jeune homme, si familière au cinéaste : adolescent pâle, échevelé, affecté d’une moue boudeuse et d’une diction où traînent les inflexions d’une mue récente, qu’Honoré filme tantôt comme un ange, visage tourné vers la lumière, tantôt comme la Bardot du Mépris, allongé nu sur le lit d’un amant, en veine de confidences.
Ma jeunesse fout le camp
Au cours d’une scène de dispute, Quentin (Vincent Lacoste) accuse Lucas de profiter du décès de leur père pour s’autoriser à faire n’importe quoi. Dans son chapitre parisien, le film mériterait parfois le même reproche, l’accident de départ servant avant tout de prélude aux déambulations du jeune lycéen, sorti de son écrin scolaire pour promener sa candeur de bistrots en karaokés et de rencontres Grindr en rapports tarifés. Il faut attendre le troisième acte pour que le récit renoue avec une certaine gravité et que commence enfin le travail du deuil. C’est sans doute la plus belle idée du film : cette douleur en décalé, ce désespoir remis à plus tard, comme si la jeunesse ne pouvait cohabiter avec la mort et qu’il lui fallait s’exiler pour épancher ailleurs son trop-plein de désir, avant de céder le pas au désenchantement. Derrière sa lourdeur apparente (en témoigne la récurrence de scènes montées comme des clips, mais aussi quelques répliques surécrites, comme l’improbable « Ma vie est devenue une bête sauvage que je ne peux plus approcher sans qu’elle me morde »), Le Lycéen réussit au moins le pari de nous immerger dans la temporalité heurtée de son personnage, et dans ce long flottement qui précède chez lui l’appréhension de la tragédie. C’est aussi la profonde modestie du film – et ce qui le rend parfois aimable, en dépit de ses nombreuses faiblesses – que d’accepter ce flottement et d’embrasser la forme souvent brouillonne d’un simple intermède dans la trajectoire de son jeune héros.