Si Le Dernier Maître de l’air et After Earth sonnaient la fin d’une série de grands films sans remettre toutefois en cause le fin talent de M. Night Shyamalan, l’annonce de The Visit avait de quoi inquiéter jusqu’aux plus irréductibles fidèles du metteur en scène. Mais pourquoi donc Shyamalan, dont le cinéma a toujours brillé par la rigueur de son découpage, succombait-il aux sirènes du found footage et de ses artifices a priori éculés ? Le film vu, nous voilà amplement rassurés : avec cette élasticité qui lui est propre, Shyamalan revisite ce pan du cinéma d’horreur contemporain dans une perspective strictement inverse à celle communément établie. Il ne s’agit pas ici d’enrober l’horreur des parures du documentaire ou de singer une forme proche de celle d’un home-movie, mais bien au contraire de tourner un film domestique (avec une simplicité réelle, presque désarmante, de ce qui s’y joue) drapé dans une forme horrifique où la contrainte du dispositif est source d’une inventivité de cadrage et d’une rétention des effets.
À l’enrobage amateur propre au genre, Shyamalan oppose une systématisation du plan-séquence qui donne leur pleine mesure aux compositions toutes en surcadrages et angles obtus – c’est probablement son film le plus dissonant –, conçues comme des mécanismes favorisant un débordement horrifique. Ce débordement peut prendre la forme de ce qu’on appelle communément un jump-scare (soit un surgissement), mais aussi de glissements psychiques imperceptibles des personnages au sein d’une même unité de temps. En témoignent les multiples métamorphoses invisibles et soudaines de cette mamie gâteau en sorcière possédée : c’est autant par un travail sur la durée (dilater, casser le rythme, mettre en place) que sur l’espace (farandole de portes comme seuils entre plusieurs dimensions et états mentaux) que Shyamalan parvient non seulement à distiller un malaise sans pratiquement recourir à la moindre effusion de sang, mais aussi à bâtir une véritable armature fantastique, toujours sur la brèche entre prosaïsme de la matière narrative et possibilité d’un élan surnaturel.
La nuit venue
Ce déploiement d’une forme épurée se couple toutefois avec une étrangeté picturale que l’on n’attendait pas vraiment de The Visit. Une nouvelle fois cette année, après le mal-aimé Poltergeist mais surtout Unfriended (produit aussi par Blumhouse), se déploie dans un film d’épouvante une tentative d’abstraction plastique (ici par une stylisation extrême de la HD) qui, loin de mettre le film à distance, revitalise surtout une force primale de la peur. Et à ce titre, The Visit vient rompre une constante du cinéma de M. Night Shyamalan, dont les films d’épouvante n’ont jamais été que des mélodrames déguisés se révélant dans l’ultime ligne droite. Ici, au contraire, le film est de bout en bout source de terreur et de sidération (s’il y a un genre où la sidération fait valeur d’argument critique, c’est bien l’horreur) mais ne parvient pas complètement, pour la première fois chez Shyamalan, à émouvoir. Pourtant la trajectoire du film est purement shyamalanienne : deux enfants, tous deux traumatisés par l’abandon de leur père, vont devoir dépasser leurs peurs respectives (phobie des microbes, impossibilité de se regarder dans un miroir) au contact de monstres. Le parallélisme des deux affrontements finaux (y compris dans le montage) semble pourtant forcer un tantinet l’issue de cette trajectoire qui va jusqu’à citer, dans une perspective quasi autoparodique, le bouleversant dénouement de Signes. Au même titre que la double fin (l’une qui boucle l’intrigue d’épouvante, l’autre qui revient sur la figure paternelle), comme si la piste de mélodrame et la piste horrifique trouvaient chacune une résolution propre.
Il faut peut-être revenir au twist, ou du moins à ce moment de crispation où d’ordinaire chez Shyamalan les deux mouvements s’entrelacent et révèlent leur nature indissociable, pour saisir la vraie originalité du film : s’il sert dans l’esprit un pendant mélodramatique (en soldant la possibilité d’une réconciliation familiale), le twist semble surtout ici entériner la radicalité du programme horrifique qui substitue à un basculement fantastique une résolution ancrée dans un réel certes éthéré (le ballet fantomatique des gyrophares des voitures de police) mais qui n’en demeure pas moins vierge de manifestations surnaturelles – pas d’apparitions spectrales, d’extra-terrestres ou de créatures, pourtant évoqués tout le long du film par les personnages. Il n’est par conséquent pas interdit, et surtout pas insultant, de voir en The Visit un passionnant « exercice » filmique, mais pas tout à fait encore le retour à la « grande forme » (on le redit : Shyamalan n’a pas cessé de faire de bons films) que l’on espère toujours.