« Tic-tac, tic-tac… » rappelle fréquemment la musique de Hans Zimmer : c’est que le temps presse à Dunkerque, où les troupes allemandes se rapprochent de la poche de résistance alliée qui tente de fuir pour rejoindre l’Angleterre. De fait, le nouveau film de Christopher Nolan se présente avant tout comme une machine rythmique reposant sur deux tempos dictant la vitesse du récit. Le premier, qui se manifeste à l’échelle des séquences, épouse une logique presque abstraite et en cela assez surprenante de la part du réalisateur d’Inception : le tempo imposé aux scènes, c’est celui d’une fuite face à la mort, invisible (pas un soldat allemand n’apparaît à l’écran, seuls les avions de la Wehrmacht font exception) qui règne au-delà du plan – au-delà des dunes, en dessous de la mer d’où jaillissent des torpilles, dans le hors-champ d’où sont tirées des balles qui fusent sur les soldats dans la scène d’ouverture. Nolan trouve dans l’épure du film d’action, domaine dans lequel il n’est pourtant pas le plus à l’aise, la matière à travailler un mouvement au beau potentiel, qui consiste à filmer des actions très concrètes – toutes les astuces et décisions qui permettront aux soldats de s’échapper vivants de Dunkerque – pour retranscrire un horizon métaphysique – échapper momentanément à la mort qui guette chacun.
Dunkerque pourrait être le meilleur film de Nolan s’il s’en tenait à ce seul principe et ne souscrivait pas à un deuxième tempo, qui tend à écraser le premier, et qui gouverne quant à lui l’organisation du montage. Trois lignes temporelles nous sont présentées en introduction : une, au temps plus distendu (une semaine), prend place à Dunkerque, la deuxième, plus resserrée (une journée), suit la mission d’un bateau de plaisance qui vogue vers la ville française pour secourir les soldats piégés, tandis que la troisième, purement aérienne, suit une heure de la vie d’un pilote et de ses combats face aux avions allemands. L’entrelacement de ces trois lignes narratives permet de multiplier les points de vue et les décalages temporels (par exemple : filmer un amerrissage à la fois du ciel puis de la mer) mais souscrit surtout par ailleurs à une logique d’intensité.
L’intensité suspendue
Depuis The Dark Knight et ses deux ferries qui se tenaient en joue, en passant par la camionnette suspendue d’Inception jusqu’au montage parallèle d’Interstellar qui entrelaçait un combat à mains nues sur une planète inconnue et un incendie sur Terre, Nolan ne cesse de chercher à suspendre la note de l’intensité, à la répartir sur plusieurs pans narratifs et espaces-temps afin de la maintenir le plus longtemps possible. Cet impératif rythmique, dont la conséquence est de mettre sur le même plan des actions distinctes, accouche certes de conflits dramaturgiques (toujours les mêmes, toujours aussi pauvres : faut-il mieux privilégier une option A – sauver un homme, faire demi-tour, etc. – ou une option B, qui demande un sacrifice supplémentaire mais dont le « gain » serait plus grand ?), mais qui valent peu face à l’appauvrissement que cause cette mécanique. Tout dédier au montage parallèle, c’est en effet déplacer le cœur névralgique de l’écriture : la mise en scène de Nolan obéit moins à une logique qui gouvernerait le plan ou la scène (par exemple : échapper à l’espace de la mort, comme dans les meilleures scènes du film) qu’à une autre, éreintante, qui intrigue un temps mais révèle ses limites à la longue (que raconte in fine le film, si ce n’est, un peu grossièrement, que les forces distinctes en jeu dans le récit forment un ensemble uni ?). Nolan, en dépit de ses qualités, semble coincé dans une boucle dont il lui faudra sortir s’il souhaite passer à la vitesse supérieure, quitte à perdre un peu en intensité pour gagner en consistance.