C’est le dernier acte d’un tour de magie. Après la promesse, qui présente une situation a priori banale, puis le revirement, qui renverse cette situation de manière stupéfiante, le prestige est le moment du retour – inexpliqué – à la normale… Celui qui provoque les applaudissements. Construit avec succès sur ce même schéma, à la manière d’une métaphore, le film de Nolan s’encombre pourtant d’un quatrième acte bien inutile : le dénouement. C’est que les vrais magiciens, au risque de décevoir, ne révèlent jamais leurs secrets.
Petit à petit, Christopher Nolan est en train de se faire un grand nom dans le cinéma. Se construisant une œuvre somme toute très homogène avec l’obsession qui caractérise tous les personnages de ses films, de Following jusqu’à Batman Begins en passant par Memento, le réalisateur creuse avec talent, et sans prétention, un des thèmes essentiels du septième art : l’illusion. Tromper le spectateur, le promener sur des mauvaises pistes, user du coup de théâtre n’est-il pas le meilleur moyen de captiver son attention, son intérêt, et de provoquer par là même son adhésion ? C’est donc tout naturellement qu’il applique aujourd’hui cette formule éprouvée à un film sur la magie, ou plutôt, sur les magiciens, ces hommes de scène qui fascinaient le Londres de l’époque victorienne.
Et tout dans Le Prestige fonctionne justement comme un tour de magie. Avant tout, comme dans un spectacle classique – et à l’instar d’Insomnia, également –, c’est d’un contexte, d’une ambiance dont on a besoin. Nolan l’a bien compris, qui attache d’abord un soin tout particulier aux décors et aux costumes. Le travail effectué sur les reproductions de l’Angleterre du début du vingtième siècle est véritablement remarquable. Les images, somptueuses, grandioses en extérieur comme en intérieur, étincellent de lumières étranges et de couleurs chatoyantes. Le casting, aussi, se révèle idéal. Christian Bale, le Batman de Nolan, et Hugh Jackman, actuellement à l’affiche du Scoop de Woody Allen, se livrent une lutte sans merci. Quant aux seconds rôles, très écrits, ils apportent avec Scarlett Johansson, Michael Caine et David Bowie notamment, une dose de mystère et de perversion supplémentaire. Un montage (involontairement ?) curieux, déroutant, qui alterne vertigineusement différentes époques, différentes situations, ainsi que la voix off, étrange, captivante, achèvent d’étourdir le spectateur le plus critique. Ça y est. On est prêt à se faire berner.
Berner, parce qu’en grattant un peu ce vernis aveuglant, on tombe sur un scénario à l’intérêt assez mince : l’histoire de deux magiciens, anciennement complices, qui suite au drame de l’un d’entre eux, provoqué par l’autre, en viennent à la compétition, à l’affrontement, et jusqu’à la haine. Drame psychologique en quelque sorte, qui aurait pu être intéressant s’il avait été encore approfondi, et même suivi. Parce que, faute d’une réelle rigueur rythmique, un côté « thriller » assez mal rendu prend vite le pas sur cette première approche, et se résume à cette question : comment voler les secrets – et en un sens, s’approprier le bonheur – de son rival ? Certes, bien malin qui pourrait deviner le coup de théâtre final… qui pourtant ne surprend guère, et même déçoit quelque peu. D’autant qu’il révèle un réel paradoxe dans le propos de Nolan. Lui qui n’a eu de cesse de nous répéter que l’aura d’un illusionniste se ternit et s’efface dès qu’il révèle le secret de ses tours, aurait pu, aurait dû ! faire planer le doute sur les mystères de ses héros, et laisser libre cours aux interprétations plutôt que de nous imposer cette fin presque trop évidente. Lorsqu’on ouvre les coulisses, on détruit le spectacle.
Mais, une fois n’est pas coutume, l’ivresse vient ici du flacon, splendidement travaillé. Ne boudons pas notre plaisir, et laissons-nous prendre par le talent de narrateur de Christopher Nolan, par cette ambiance captivante, et par une intrigue plus passionnante que son dénouement. On se dira alors que si la métaphore du cinéma tourne court, c’est qu’elle était peut-être trop ambitieuse pour ce réalisateur encore jeune dont on sait que le chef-d’œuvre ne tardera pas.