Emmanuel Mouret poursuit son travail de variations sentimentales, de petites et grandes misères du couple, dans un beau jeu d’équilibriste entre le léger et le grave. Dans la droite ligne de ses précédents films, il use et abuse de l’humour absurde, qui cette fois-ci ne se cantonne pas au verbe mais se délecte de burlesque. Même si on est un peu agacé par certains procédés trop attendus, on salue la construction intelligente de l’histoire et on se régale de trouvailles comiques.
Emmanuel Mouret fait des films pour embrasser les jolies filles. Frédérique Bel et Fanny Valette dans Changement d’adresse (2006), Virginie Ledoyen dans Un baiser s’il vous plaît (2007), Frédérique Bel de nouveau, Judith Godrèche et Deborah François dans Fais-moi plaisir ! Le metteur en scène, également acteur de ses films, a trouvé un bon filon et il s’en pourlèche les babines. Son dernier film reprend les mêmes thématiques que les précédents : exploration du couple et de ses limites, navigation sur le fil tendu des désirs, des fantasmes, de la frontière rêve/réalité… Comme depuis ses débuts, il s’appuie sur un ressort comique et un ton a priori léger, qui bascule en fait sans cesse entre ce qui est futile et ce qui ne l’est pas, ce qui relève du détail et ce qui prête à conséquences. Son ton délicieusement désuet et absurde et les jeux avec les mots et avec l’espace caractérisent son cinéma au moins depuis Changement d’adresse.
Fais-moi plaisir ! n’y fait pas exception. Soit Ariane (Frédérique Bel) et Jean-Jacques (Emmanuel Mouret), jeunes amoureux. Leur appartement, où débute le film, est à l’image de leur couple : deux entités réunies, à la fois indépendantes et assemblées. Pour renforcer leur couple, Ariane prie Jean-Jacques d’aller au bout de ses fantasmes avec Élisabeth (Judith Godrèche), une jeune inconnue : à des secrets et des jalousies elle préfère la consommation avérée et sue. Mais ce que Jean-Jacques ne sait pas, c’est qu’Élisabeth est la fille du président de la République.
Avouons-le, le début du film nous a peu réjoui. La première séquence dans l’appartement du couple est très attendue, le ton à la Rohmer ou faussement nouvelle vague (la diction des acteurs, le côté très dialogué) ennuie, sonne faux et finalement fonctionne mal : on est mal à l’aise pour Emmanuel Mouret, dont les gags du début n’ont rien d’original. On a déjà vu ça chez lui et ça ne nous séduit plus. Là où le cinéaste se renouvelle avec bonheur en revanche, c’est dans l’utilisation du plus pur burlesque. L’auteur se vautre dans le comique de geste, se prend pour un Marx Brother ou un Buster Keaton filant la blague jusqu’au bout : la scène du rideau coincé dans la braguette de Jean-Jacques est ainsi une petite merveille de drôlerie. Toutes ces trouvailles comiques possèdent certes un petit côté attendu (tiens, un vase posé sur la cheminée du président : un objet où se coincer la main ; oh ! une sculpture de femme nue posée sur le siège des toilettes : le portable tombe dedans, le héros plonge sa main entre les cuisses de la statue et inévitablement la porte s’ouvre sur l’assistant d’Elisabeth) ; mais elles fonctionnent, notamment grâce au jeu des acteurs. Le réalisateur a tapé dans le mille en choisissant Judith Godrèche en fille de président, toujours parfaite pour jouer les belles un peu nunuches avec une justesse et une drôlerie déroutantes. Lui-même, avec sa tête un peu de travers et ses gros yeux d’étonné a le physique du maladroit sensible, tendre au grand cœur qui plaît aux jeunes filles en fleur. Frédérique Bel étonne et ravit toujours, avec sa capacité à adopter des expressions très diverses, sa voix un peu désuète et son corps appelant l’amour. Autre ressort comique, là encore signature d’Emmanuel Mouret, l’utilisation des petits espaces, segmentant et rapprochant les corps et les cœurs, mis en balance ici avec les grands espaces de l’appartement et du bureau présidentiels (là encore objet de belles trouvailles comiques comme l’ascenseur à reconnaissance vocale).
En sus des scènes proprement comiques, la réussite du film tient dans la place que tiennent précisément ces scènes dans l’avancement de l’histoire. Apogée de l’embrouillamini où se retrouve le héros, pris au piège d’un milieu dont il ignore les codes, elles jouent le rôle de catalyseur et permettent de glisser vers la séquence avec la troisième femme (Déborah François), autre possibilité érotique explorée. La jonction se fait alors judicieusement vers les retrouvailles, au bout de la nuit passée chacun de son côté, du couple. Et la balance grave/léger revient au premier plan pour livrer une fin qui ne relève jamais de la morale. Comme toujours chez Emmanuel Mouret, et c’est ce qu’on aime chez lui.