Daniel (Gérard Meylan) sort de trente ans de réclusion et commence par redécouvrir Marseille. La promenade dévoile une ville à deux vitesses, partagée entre ses quartiers délabrés et d’autres en passe d’être modernisés. D’entrée de jeu, Robert Guédiguian annonce l’amer constat politique de Gloria Mundi : celui d’une société de plus en plus divisée et uberisée. En suivant la famille de Daniel plongée dans une grande précarité, le scénario déroule la révoltante mécanique de la misère, où un malheur semble nécessairement aboutir à un autre. Sa fille Mathilda (Anaïs Demoustier), qui vient de donner naissance à la petite Gloria, risque de perdre son emploi de vendeuse. Son mari devient alors chauffeur uber pour gagner plus d’argent, mais se fait casser le bras par des conducteurs de taxi.
Loin de sombrer dans un pathos artificiel, le caractère pathétique de nombreuses scènes sonne ici toujours juste et devient une arme de dénonciation : c’est parce que la société est devenue sourde à leur détresse que les personnages sont réduits à implorer à genoux leur entourage pour obtenir un peu d’aide. Cette disparition de la solidarité et de la compassion, Robert Guédiguian l’associe clairement au néolibéralisme, incarné par le personnage de Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet), le mari de la deuxième fille de Sylvie. Ce jeune loup égocentré, au point de commercialiser ses ébats amoureux, sidère par son cynisme – son commerce prospère sur le dos de la misère en rachetant à bas prix les objets des plus pauvres. On retrouve d’ailleurs dans le discours de ce petit patron une effrayante rhétorique conçue pour scinder le monde entre les « winners » et les « minables », qu’il faudrait « écraser » pour aller de l’avant. Pensée à laquelle s’oppose Daniel, l’ancien forçat devenu une figure christique, prêt à tout sacrifier en silence pour aider sa famille. La fracture sociale dans Gloria Mundi prend ainsi une dimension humaniste, où le rapport à l’autre se voit dangereusement remis en question. Le titre du film s’avère tout aussi ambivalent : la splendeur du monde, celle de la naissance de la petite Gloria sur laquelle s’ouvre le film ou celle des haïkus que compose Daniel, prend un sens tristement ironique une fois associée à la figure monstrueuse de Bruno.