On apprécie tout particulièrement, chez Guédiguian, cette irrévérence qui consiste à tailler, dans le morne tissus de la crise économique des années 1990 – disons depuis L’argent fait le bonheur – de belles fables optimistes et enthousiasmantes à la Capra. Celles-ci ont pour contingence l’idéalisation de leur petite communauté de personnages principaux : ouvriers, chômeurs, débrouillards, gosses de la rue, prostituées, mères-enfants. Guédiguian ne fuit rien plus que la grisaille neutralisante de la complexité psychologique. Pour lui, les forces en jeu dans notre société, si elles s’expriment de façon confuse vues d’en bas, apparaissent, à un point de vue général, d’une grande simplicité. Binaires : les riches contre les pauvres, les forts contre les faibles, les ouvriers contre les banquiers. On ne voit rien à redire à cette méthode énergique. Seulement, quand ce principe d’idéalisation se pose sur une période historique, sur le film d’époque, cela ne va pas sans poser quelques problèmes. L’Armée du crime nous invite à suivre toute la formation du groupe de résistants juifs menés par le poète Missak Manouchian (Simon Abkarian), du recrutement à l’organisation, puis aux premières actions clandestines dirigées à l’encontre des nazis. Très vite, un jeu du chat et de la souris s’installe avec la police française collaborationniste, furieuse, barbare et surpuissante. Le chat pose sa patte sur la souris : le groupe est exécuté. On reconnaît chez le cinéaste cette force toujours intacte à mettre en scène un scénario très élaboré, très écrit (une dizaine de personnages s’y ébattent), d’une façon fluide, naturelle, comme si de rien n’était, comme si tout coulait de source. Guédiguian applique à son groupe de jeune résistants, tous beaux, tous nobles, l’adage de L’Homme qui tua Liberty Valance : « Print the legend. » Ce marbre obligatoire décerné à chaque personnage « positif » comme une récompense posthume, s’il prend une valeur militante dans un quotidien cerné par la déprime et l’immobilisme, risque, transposé dans un récit historique, de virer au monument figé digne des pires heures du Réalisme Socialiste. Voire au chromo (cf. les scènes avec Virginie Ledoyen, qui interprète la femme de Manouchian). Le film ne se remet pas de la lecture off de la lettre d’adieu de Missak Manouchian à sa femme – confiant peu avant son exécution ne pas en vouloir au peuple allemand – sommet d’émotion purement littéraire qui invalide les deux heures vingt d’images et de sons précédentes. Le poète, in fine, l’emporte haut la main sur le cinéaste.