Présenté à Venise en séance spéciale, le nouveau film de Robert Guédiguian continue son petit tour des festivals après sa programmation à Cannes cette année dans la sélection Un Certain Regard. Allons droit au but : Les Neiges du Kilimandjaro est un très beau film, l’un des meilleurs de Guédiguian, ce qui rend totalement incompréhensible le relatif silence qui a accompagné sa présentation cannoise. Peut-être le champ occupé par le film semble-t-il trop balisé, trop familier ? Marseille, l’Estaque, les ouvriers syndiqués, le parfum des sardines grillées et du pastis, et les trognes connues des copains de toujours (Ascaride, Meylan, Darroussin) qui côtoient les petits nouveaux (Maryline Canto, Grégoire Leprince-Ringuet, Anaïs Demoustier) : on est en terrain connu. Et pourtant, rien ne semble émousser la passion de cinéma qui anime Guédiguian, pas du genre à se laisser abattre par quelques demi-échecs. Pourvu que le public lui rende grâce : dans un monde parfait, Les Neiges du Kilimandjaro rencontrerait le même succès que Marius et Jeannette en son temps.
La notion d’engagement (politique, social, affectif) est au cœur de l’œuvre de Guédiguian. Mais après le temps des débats et de la lutte vient celui de l’apaisement et de l’acceptation. Comment faut-il le prendre, lorsque l’on a fait de sa vie entière un combat contre les injustices ? Est-il trop tard pour se remettre en question, est-il légitime de continuer à s’indigner, quand à l’aube de la soixantaine la vie est douce, les amis présents et les enfants heureux ? Et ces derniers, qu’ont-ils retenu de ce qu’on leur a transmis ? Guédiguian s’interroge sur les victoires de sa génération et la transmission de ces acquis aux plus jeunes, en dressant l’amer constat d’un échec que ni lui, ni ses collègues de lutte n’avaient réellement anticipé. Avec délicatesse, il déploie tout son talent de conteur contestataire dans un scénario en parfait équilibre entre plusieurs genres (comédie, drame, polar) et les tranches de dialogues ouvertement didactiques qui ont toujours été sa marque de fabrique. Guédiguian n’a pas son pareil pour brosser le portrait de personnages terriblement attachants, tiraillés par les doutes et les angoisses, jamais là où on les attend. C’est aussi et surtout un cinéaste dont le regard bienveillant sur des héros ordinaires bouleverse par son infinie tendresse, toujours à la bonne distance, à la bonne hauteur. L’air de rien, Les Neiges du Kilimandjaro marque une sorte d’apothéose pour ce cinéaste si discret qu’on ne s’était pas forcément rendu compte à quel point il nous est indispensable.