L’industrie cinématographique taïwanaise est en difficulté : peu de films sont produits, le cinéma commercial étranger monopolise les salles de l’île, le cinéma d’auteur dépend des capitaux étrangers. Rares sont donc les films qui nous parviennent de ce pays, l’une des composantes, aux côtés de la Chine continentale, Hong Kong et Singapour, du cinéma chinois. Si l’on regrette que le cinéma taïwanais se réduise à quelques noms (Edward Yang, Ang Lee, Hou Hsiao Hsien et Tsai Ming-Liang), on se réjouit à chaque sortie d’un film de ces trois derniers (Edward Yang étant mort).
Comme ses confrères, Tsai Ming-Liang est un cinéaste issu de la « nouvelle vague taïwanaise ». Née en 1982, avec Growing Up (Chen Kunhou) et le film collectif The Sandwich Man, elle était une réponse au non-renouvellement des réalisateurs installés et à l’invasion des films de divertissement hongkongais. Comme les autres nouvelles vagues, proches du néoréalisme italien, il s’agissait de se détacher de la fiction pour être plus proche de la réalité. Les récits ne sont plus un enchaînement de péripéties qui arrivent à des héros, mènent à un climax qui lui-même mène à une résolution, ils sont plutôt des juxtapositions de scènes décrivant les quotidiens d’êtres ordinaires, fortement ancrés dans l’histoire du pays, que le gouvernement officiel préférait occulter.
Issu de cette génération d’auteurs donc, Tsai Ming-Liang a su créer son propre système, qu’il développe depuis neuf longs métrages. Des Rebelles du Dieu Néon (1992) à I Don’t Want to Sleep Alone (2006) en passant par Vive l’amour ! (1994), La Rivière (1997), The Hole (1998), Et là-bas quelle heure est-il ? (2001) , Goodbye Dragon Inn (2003) et La Saveur de la pastèque (2005), son univers est très identifiable. Les actes de personnages solitaires et mélancoliques, incapables de communiquer, sont minutieusement décrits dans de longs plans séquences, souvent fixes. Jouant des formes, des couleurs, des sons, des corps et des visages, Tsai crée des tableaux vivants de toute beauté. Ses histoires tristes accueillent souvent un comique misant sur l’absurde et la répétition ainsi que, parfois, des scènes de comédies musicales (The Hole, La Saveur de la pastèque, Visage).
Visage, que nous avons le plaisir de voir sortir en ce mercredi 4 novembre, est une commande faite à Tsai par le Musée du Louvre. Habitué à tourner à Taïwan (outre I Don’t Want to Sleep Alone, tourné en Malaisie, et Et là-bas quelle heure est-il ?, en partie tourné en France), le cinéaste se confronte à une culture qui n’est pas la sienne, et dirige des acteurs français aussi connus que Jean-Pierre Léaud, Laetitia Casta, Fanny Ardant, Mathieu Amalric et Nathalie Baye. Si l’on s’attend à ce que ce nouveau film soit différent des précédents, il n’en est rien, tant on retrouve les éléments de l’univers de Tsai que nous connaissons et que nous aimons. Visage est un film jubilatoire, où la splendeur de la mise en scène met en valeur les visages et les corps des acteurs, qui entament une fois de plus une chorégraphie réjouissante.