Sélectionné cette année dans sa version restaurée — image et son — aux festivals de Cannes, de La Rochelle et au Festival Lumière, Le Départ, œuvre particulière dans la filmographie hautement singulière de Jerzy Skolimowski, ressort en salles le 21 novembre par les bons offices de Malavida.
Cas étrange que Le Départ, œuvre multirécompensée lors de sa présentation à Berlin en 1967 (Ours d’or et Prix de la critique) mais jugée mineure par le cinéaste. Il s’agit aussi de la première réalisation de Jerzy Skolimowski hors de Pologne. Depuis ses débuts, chaque film axé sur la jeunesse polonaise constituait une charge rageuse et rêveuse toujours plus désillusionnée, tournant à la dénonciation du conformisme et du cynisme. Les choses se précisent en 1967, La Barrière constitue un véritable jalon que dépasse – au moins par sa virulence – Haut les mains, saisissante introspection d’une génération par le biais de cinq amis voyageant dans un wagon à bestiau. Tombé sous le coup de la censure (le film restera invisible jusqu’en 1981), Skolimowski quitte la Pologne et se trouve avec Le Départ (il est évidemment tentant d’associer ce titre à la situation du cinéaste) aux manettes d’une production franco-belge.
Ce décentrement géographique (tournage bruxellois) occasionne une indéniable mue dans le geste cinématographique, dans lequel on retrouve l’énergie mais pas le foisonnement si saisissant dans la « période polonaise » – composition des plans, mouvements de caméra et façonnement de récits où l’absurde le dispute à l’inquiétante étrangeté. L’un des chantres du renouveau cinématographique en Europe orientale s’avère comme gagné par la Nouvelle Vague française. Cette dernière était connue et admirée de ces cinéastes, et inspiratrice – on peut citer aussi les Tchèques Miloš Forman, Jiří Menzel, Věra Chytilová. Plus particulièrement, avec ses airs de jazz, sa nonchalance, ses bagnoles lancées à toute allure, Le Départ s’avère plus que teinté d’un franc godardisme, au croisement d’À bout de souffle et Bande à part. La présence de Jean-Pierre Léaud – dont l’abattage burlesque (rythmique corporelle, sens de la fantaisie et de la répartie) fonctionne à plein régime – dans le rôle-titre vient enfoncer le clou, d’autant plus que celle qui l’accompagne dans ses pérégrinations n’est autre que Catherine Duport, remarquable second rôle dans Masculin Féminin (1965) de Jean-Luc Godard.
Dans Le Départ, Marc (Jean-Pierre Léaud) est un garçon coiffeur beaucoup plus fétichiste envers les belles cylindrées que pour les cheveux qu’il lave et les perruques qu’il livre. Sans le sou, il s’inscrit à un rallye au volant d’une Porsche, qu’il n’a évidemment pas. Sur cette mince intrigue, Le Départ consiste en une course folle pour en trouver une le jour J. Dans cette quête, on croise un faux maharadja (son collègue), Marc manque de céder aux avances d’une cliente d’âge mûr, tente de réunir l’argent par divers moyens malhonnêtes, emprunte cette Porsche à son patron… Il entraîne Michèle dans l’aventure, elle lui prête main forte et se retrouve même au rang de copilote. Sauf que « le départ » ne sera pas celui qu’on croit. Celui d’un amour ? D’un adulte doté d’une nouvelle présence au monde ?
Sous sa légèreté manifeste et revendiquée, Le Départ fait pointer une inquiétude dans cet élan compulsif et jusqu’au-boutiste, avec ce dérèglement qui semble procéder de ce désir de possession des objets de consommation, thématique qui irriguait déjà La Barrière et surtout Haut les mains. Une séquence assez formidable de pugilat faisant suite à un accident de la circulation met en relation les protagonistes avec d’immenses affiches publicitaires (pour la marque de voiture Simca) qui s’invitent dans la narration. Les personnages de ces dernières semblant spectatrices de la scène dans un air figé aussi risible que glaçant. Il est difficile de ne pas voir ici une autre manifestation de l’ancrage godardien de ce film, cet usage du graphisme commercial faisant notamment songer à Made in USA. S’il est certain que Le Départ ne dégage ni la singularité ni la puissance de la période précédente (et des jalons qui suivront), cet exercice de style sautillant s’avère une œuvre de transition jouissive.