Les Cavaliers marque le grand retour de John Ford au western, cinq films et trois ans après le splendide La Prisonnière du désert. Le cinéaste revient également à son sujet de prédilection : la cavalerie, dont il avait fait l’héroïne de la trilogie La Charge héroïque / Rio Grande / Fort Apache, trois chefs d’œuvre réalisés dans les années 1940. Il est intéressant de comparer les deux regards portés par le maître, à vingt ans d’écart, sur l’épopée américaine : plus pessimiste et sombre que ses précédentes œuvres, Les Cavaliers poursuit la lente remise en question des grands héros fordiens.
John Ford réalisa à contre-cœur Les Cavaliers. Le sujet lui en avait été imposé par le studio United Artists qui produisit le film, et on imagine bien le vieux cinéaste bourru grommelant contre ses patrons peu conciliants. Néanmoins, comme pour toutes ses œuvres, mineures ou non, de commande ou pas, John Ford réussit à imposer sa patte inimitable au film. Dans un Cinémascope superbe, il multiplie les plans d’ensemble sur la cavalerie américaine, dont il glorifia si bien la bravoure et la dévotion dans le passé. Mais à l’instar de La Prisonnière du désert, qui marque un tournant dans l’œuvre de Ford, Les Cavaliers impose une vision plus sombre et plus ambiguë de la nature humaine d’un cinéaste vieillissant qui était alors au crépuscule de sa carrière.
1863. La guerre de Sécession fait rage. Les Yankees sont inquiets, car les Sudistes tiennent bon et gagnent du terrain. Le colonel Marlowe (John Wayne), accompagné du major et médecin-chef Kendall (qu’il déteste), est envoyé avec son régiment pour une action de sabotage en plein territoire ennemi. En chemin, la troupe capture une jeune femme sudiste qui avait tenté d’avertir l’ennemi de leurs agissements… Ford ne croyait pas beaucoup à l’inimitié entre Marlowe et Kendall, ni à l’histoire d’amour entre Marlowe et la jeune sudiste. Il remplit donc rapidement son cahier des charges, en expédiant à la fois la réconciliation des deux hommes et la déclaration d’amour. Le casting lui-même semble prouver le désintérêt du cinéaste pour ces deux personnages, tant William Holden (Kendall) et Constance Towers semblent égarés dans leur rôle.
Car Ford, semble-t-il, avait d’autres idées en tête : l’histoire étant tirée d’un fait réel, le réalisateur l’a voulue, à sa façon, plus réaliste. Les véritables accrochages entre Nordistes et Sudistes sont réduits au maximum : Les Cavaliers ne comporte aucune des scènes de bataille véritablement héroïque pour lesquels Ford était passé maître. Le clou du film, et sans doute la plus belle scène, montre la « fuite » du régiment devant une troupe de jeunes cadets sudistes, dont le plus âgé a à peine 16 ans. Le respect intense de l’homme qui est une des thématiques principales de l’œuvre fordienne se traduit dans Les Cavaliers par un refus total de cette guerre fratricide que le peuple américain n’aurait jamais dû mener : refus des effusions de sang inutiles – dont Marlowe, personnage typiquement fordien, est le héraut –, mais aussi refus de la diabolisation de l’ennemi. Si la cavalerie nordiste est au centre du film, les Sudistes n’en ont pas moins le sens de l’honneur, et ces jeunes cadets dont Ford filme la détermination avec une grande affection et beaucoup d’humour, en sont l’exemple parfait.
La guerre selon Ford n’est plus le temps des batailles rangées pleines de cadavres et des « charges fantastiques ». Les Cavaliers est en quelque sorte un « horse-movie », où l’on observe la vie de la troupe en marche, son inquiétude, ses faiblesses mais aussi sa solidarité quotidienne, bien plus que ses affrontements avec l’ennemi. Une heure durant, Ford filme ces visages anonymes de soldats qui avancent sans se plaindre, puis prend le temps de s’arrêter sur chaque blessé, attentif à leur souffrance, mais aussi à leur courage jamais pris en défaut : lorsqu’un drapeau tombe en plein combat, il y a toujours quelqu’un derrière lui pour le ramasser et le dresser toujours plus haut.
Homme aigri mais juste même dans l’illégalité, le colonel Marlowe est le frère de tous les héros que son interprète, John Wayne, avait déjà immortalisé devant la caméra de Ford. Mais c’est un héros désabusé, qui semble ne plus trouver comme avant une raison de vivre dans sa vocation militaire. Il pleure sur chaque soldat perdu, bafouille devant la femme qu’il a maltraitée, évite le combat lorsque c’est encore possible et perd presque courage lorsqu’il se voit acculé à ordonner des atrocités – incendies, pillages… Pour lui, John Ford avait refusé le traditionnel happy-end de la cavalerie, au son du clairon. Il préfère le voir s’éloigner au grand galop sur un pont près à exploser et sous le regard désolée de sa dulcinée ; car quelques années plus tard, dans L’Homme qui tua Liberty Valance, le héros fordien finira son triste destin en mourant sans qu’on lui rende les honneurs.