Autant l’écrire d’emblée et sans ambages : la troisième saison de Servant s’avère bien plus emballante que la précédente. Si la série n’a plus grand-chose à raconter (c’est sa principale limite) et se garde bien d’apporter des réponses avant l’heure (une quatrième saison devrait suivre en guise de conclusion), elle s’en tient à un axe narratif plus épuré, de nouveau centré sur le personnage principal de Leanne. Toujours aussi ambivalente (est-elle une incarnation du bien ou du mal ?) et parfois en proie à des tourments insondables, la fameuse nourrice s’applique ici à se trouver plutôt qu’à se chercher, notamment en s’émancipant peu à peu du carcan familial des Turner. Étape après étape, se dessine donc ce qui s’apparente à une éprouvante libération davantage qu’à un nouveau chemin de croix, comme dans les saisons précédentes. Mais en tombant en partie le masque, en se révélant enfin à elle-même, Leanne n’en devient pas moins inquiétante, voire terrifiante – et Servant de jouer encore à nous épouvanter.
Les premiers épisodes sont ainsi consacrés à sa mue, sinon à son envol. D’abord enfermée dans son rôle comme dans la maison lui servant de refuge, elle parvient progressivement à s’en échapper et à voler de ses propres ailes en bravant ses peurs (elle croit voir des membres de la secte à laquelle elle appartenait à tous les coins de rue), pour enfin s’ouvrir vers l’extérieur (elle s’entiche d’un groupe de sans-abri ayant établi leur campement de fortune dans le quartier). Tout en assumant une nouvelle mission : celle d’une sainte, mais aussi possiblement d’une mère. Une telle bienveillance et une transformation si soudaine suscitent évidemment la méfiance, sinon la jalousie de Dorothy, personnage grimaçant jamais loin de la surchauffe, évoluant sur une crête borderline pour le moins périlleuse et fatigante. Éclipsant peu à peu tous les autres protagonistes, dont les figures masculines de Sean et Julian, qui n’ont jamais paru aussi falotes, ce rapport d’amour/haine entre les deux femmes constitue le nœud dramatique de cette troisième saison. Il tourne même au jeu de massacre lorsque Jericho devient le sujet de toutes les convoitises, coups bas ou prises de pouvoir intempestives. « Je ne suis pas ta mère. Ni ton amie. Je suis ta patronne », criera une Dorothy furieuse, avant de littéralement tomber de haut dans le dernier acte intitulé Maman, sans que l’on sache in fine laquelle il désigne vraiment. En somme, ces épisodes ne font que ressasser, certes en les reformulant, les affres d’une maternité contrariée et disputée depuis le départ. En cela, Servant ne se distingue plus de la cohorte des séries dont le propre est de commencer par dresser la table, pour ensuite se contenter de faire passer les plats jusqu’à plus faim. C’est d’ailleurs ainsi que l’on serait tenté de qualifier cette nouvelle saison, filant nous aussi la métaphore gastronomique encore déclinée ici, mais de manière paresseuse, dans la plupart des épisodes : elle tient de la formule ; tout y est à sa place, mais différemment présenté et ordonné.
Santé formelle
De toute évidence, l’intérêt principal de cette troisième saison de Servant réside moins dans un récit tirant sur une corde déjà bien usée que dans sa santé formelle et son appétit vivace de mise en scène. Nul doute à présent : la série produite par M. Night Shyamalan vaut surtout comme un laboratoire où la peur et le suspense sont étudiés sous toutes leurs coutures. Si, comme dans la saison précédente, le cinéaste n’a tourné que le premier épisode, tous portent sa signature et laissent deviner qu’il en a chapeauté rigoureusement l’exécution. Cet épisode est notamment un petit précis de mise en scène, d’une tenue et d’une précision exemplaires. On retrouve le Shyamalan des débuts, celui de Sixième sens et de Signes, adossé à un classicisme virtuose où le plan, net et suggestif, est pensé selon un principe de concision et de constante efficacité. Au service du récit, aussi lassant soit-il, la réalisation cède moins aux sirènes de la démonstration de force qu’elle ne se laisse habiter par cette noble croyance en un équilibre économe (faire beaucoup avec peu, aller à l’essentiel), ce qui n’exclut pas quelques expérimentations.
Il faut voir par exemple comment le cinéaste appréhende ce moment vertigineux où Leanne, souffrant de paranoïa, se risque à sortir pour la première fois en franchissant la porte d’entrée du pavillon des Turner. Un plan en plongée, aussi simple que techniquement brillant (le point de vue est situé au niveau du plafond), suit son avancée depuis le hall de la maison jusqu’au parvis, où la caméra redescend subitement pour venir saisir la détresse du personnage en zoomant sur son visage apeuré. Économie du plan, disions nous : un seul suffit en effet pour figurer à la fois le passage d’un seuil (à l’instar de la caméra, Leanne passe de l’autre côté du mur), le renversement de perspective et le poids à porter qu’il induit (celui du monde semble alors tomber sur ses frêles épaules). Ailleurs, c’est toute l’écriture shyamalanienne, passée ou récente, qui est constamment réinvestie et remise sur le métier (gros plans sur des visages filmés frontalement, présence au premier plan d’objets envahissants et attirant l’attention, plongées totales, cadrages de biais, renversements du plan, jeux sur l’accommodation et le flou, musique stridente, etc.). Jusqu’à ce plan aquatique improbable du neuvième épisode, qui donne à voir en contre-plongée l’image troublée de Jericho depuis le fond de sa piscine gonflable ; écho de celui aperçu à la fin de Glass où David Dunn était filmé à l’identique au travers de la surface liquide d’une étendue d’eau. Belle métaphore visuelle d’une série travaillant à regarder en transparence le cinéma de Shyamalan, depuis la profondeur de ses propres images.