La première saison de Servant constituait, à défaut d’un événement majeur, du moins une surprise rassurante après Wayward Pines. Loin de céder à la tentation de la facilité récréative, voire de la seule rentabilité, M. Night Shyamalan déployait ses obsessions avec suffisamment de savoir-faire et d’à‑propos pour assurer à ce projet parallèle une place singulière dans la masse des séries encombrant les écrans domestiques. C’est dire si l’on attendait avec impatience cette deuxième saison et combien la déception s’avère à la hauteur des espoirs suscités. Il aura suffit que la poupée reborn regagne son lit, et nourrisse toutes les spéculations quant à la disparition de Jericho, pour que ces dix nouveaux épisodes tournent inexorablement en rond, à la manière du mobile suspendu au plafond dans sa chambre.
Haut, bas, fragile
Un signe, sans doute : Shyamalan n’a réalisé qu’un épisode de cette saison écrite de nouveau par Tony Basgallop. Soit le quatrième et le meilleur. Raison de plus pour nous attarder dessus, d’autant qu’il est marqué par le retour déterminant de Leanne chez les Turner. Séquestrée dans le grenier, la jeune nurse y subit la pression insistante de Dorothy, proche du burn out et déterminée à retrouver Jericho par tous les moyens, tandis que son mari, Sean, aspire à davantage de compromis et de dialogue. Dans cet épisode calé sur l’humeur impétueuse d’une Dorothy flirtant avec la folie, le cinéaste multiplie les tours de manche : gros plans, angles de prise de vue improbables, mouvements de caméra incessants, dont un lent traveling latéral caractéristique excédant les limites spatiales de la scène filmée, qui revenait déjà comme une sorte de leitmotiv dans la précédente saison pour insuffler une dynamique à contre-temps. Plus que du décorum, l’architecture domestique tient ici avant tout d’un état d’esprit, volontiers désaxé, comme si l’espace était lui-même voué à tous les dérèglements et changements de perspective traversant le cerveau dérangé du personnage joué par Lauren Ambrose, plus outrancière que jamais. Leanne n’ayant plus le monopole de la terreur, Dorothy se montre dorénavant sous un jour tout aussi inquiétant et hystérique, voire épouvantable. Dans une demeure à son image, chamboulée et transformée en prison, tout appel au rationnel devient désespéré. Outre ce visage redessiné de Dorothy, l’un des principaux intérêts de cette saison consiste d’ailleurs à tirer un meilleur profit spatial de ce lieu clos devenu à la longue familier, notamment au niveau de sa verticalité. De la cave, qui voit se creuser un trou béant à mesure que le passé est déterré, au grenier, où le temps semble s’être arrêté, le pavillon des Turner fait autant office de lieu hanté que de projection mentale. Les névroses et chimères de ceux qui l’habitent trouvent à se loger jusque dans les moindres recoins. Le cocon familial peut dès lors se transformer à tout instant en antichambre de l’enfer et les murs dissimuler les pires secrets (un plan de l’épisode neuf révèlera d’ailleurs un cadavre entre deux cloisons).
Comme dans la première saison, l’accès au dehors se fait le plus souvent par écrans interposés. Si l’on sort aussi difficilement de chez les Turner, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas de sortie : juste des portes à ouvrir et des seuils à franchir, au-delà desquels les échappatoires finissent toujours par ramener les personnages principaux au point de départ. Une scène particulièrement anxiogène du troisième épisode, réalisé par Ishana Night Shyamalan (la fille de Shyamalan), livre ainsi une angoissante variation du dispositif filmique du home movie, déjà éprouvé par son père dans The Visit (2015). Improvisé en livreur de pizza, Tobe, l’assistant cuisinier de Sean, infiltre la résidence de la famille sectaire chez qui est censée travailler Leanne. Au préalable, il a pris soin de dissimuler sur lui une mini-caméra, de sorte que les Turner puissent suivre sa progression hasardeuse et ses éventuelles découvertes. Cloués devant le grand écran plat qui trône dans leur salon, ces derniers agissent à distance en influant sur son cheminement à l’intérieur de la propriété. La vision subjective et parcellaire qui en découle ménage un suspense palpitant : bordé, le regard devient la proie de tous les dangers situés hors-champ et pouvant faire irruption à tout moment. Mais elle pointe également l’arrogance du couple, encore une fois prêt à tout pour parvenir à ses fins. En enfilant les images comme une paire de lunettes, les Turner usent en effet de leur pouvoir intrusif au-delà de la décence : au détour d’une chambre apparaît une femme alitée et manifestement malade qui semble accuser leur voyeurisme. Par le truchement de l’écran de télévision, la maison de la secte ne fait que prolonger la leur : les couloirs terrifiants jouxtent ainsi leur salon, assurant une continuité spatiale qui questionne leur impérieux désir de voir et l’effroyable manque de recul qu’il implique.
Série confinée
On relève là une certaine propension à la critique sociale, voire à la farce, pas si étrangère au cinéma de Shyamalan (qu’on se souvienne du chapeau ridicule porté par Joaquin Phoenix à la fin de Signes) et déjà observable à la fin de la première saison. Soit une manière de se moquer, sinon de stigmatiser le comportement des Turner qui, capables de faire bonne figure en société ou derrière une caméra (Dorothy est une journaliste populaire), peuvent aussi enfreindre toutes les règles de la bienséance sitôt refermée la porte de leur pavillon bourgeois. Une piste intéressante à laquelle cette saison 2 accorde finalement trop peu d’importance : le récit se hâte plutôt d’échapper à ce qui pourrait entraver le déroulement des seules péripéties, le petit jeu de la transgression grand-guignolesque tournant court. Si bien que cette saison finit par se heurter aux deux principaux écueils sériels : la redite et le remplissage. Au demeurant, cette seconde version s’apparente davantage à un remake paresseux de la première qu’à une suite soulevant de nouveaux enjeux. En somme : on prend soin de tirer sur les mêmes ficelles de l’effroi et d’actionner des leviers narratifs ou thématiques identiques. Ensuite, on comble. Il faut voir notamment le retour de l’énigmatique Oncle George (Boris McGiver) dans le foyer des Turner : le personnage traine ses doigts sales dans le seul but prévisible d’effrayer la galerie, avec ce qu’il faut de surenchère pour asseoir cette fois-ci sa présence plus insistante. Quant à Sean, plus effacé, au contraire de son épouse, il a beau nous resservir ses métaphores culinaires avec professionnalisme et habileté, ses recettes ont un regrettable goût de réchauffé.
Par là, Servant rejoint la cohorte des séries qui se dégonflent comme une baudruche sur la durée en raison de leur agitation stérile et de la complexité de surface qui les agite (la multiplication des twists se révèle in fine purement factuelle). L’écriture en roue libre ne consiste plus qu’à alimenter un scénario poussif qui tourne à vide, les intrigues ne tenant lieu que de prétexte pour justifier leur nécessité. En termes de mise en scène, le tableau ne s’avère guère plus palpitant. Bien malin celui qui devinera par exemple le réalisateur caché derrière les deux premiers épisodes de cette saison 2 de Servant. À savoir : Julia Ducournau, la réalisatrice de Grave, dont seul émerge son rapport à la chair malmenée, apposé comme une étiquette sur un produit à vendre. Nonobstant le discours promotionnel de Shyamalan sur la liberté laissée à chaque cinéaste, le résultat laisse plutôt une impression de lissage généralisé, le souci d’efficacité et de surenchère prenant trop souvent le pas sur l’originalité (sauf à la rigueur, donc, pour les épisodes réalisés par lui et sa fille). Chez les Turner, les murs dressés conditionnent jusqu’aux regards des cinéastes invités à les investir. Manque indéniablement de dispositifs formels suffisamment pertinents pour que la série ne soit pas confinée à l’intérieur d’une routine horrifique où seuls comptent les tours de passe-passe. Ce sont moins les talents convoqués qui déçoivent que cette façon de mettre leur cinéma en boite et d’en extraire une version étriquée, sinon caricaturale, ne parvenant que trop rarement à déborder le cadre imposé par le cahier des charges. Fini le faux rythme, cette langueur si particulière qui parvenait à tordre le programme du suspense sensationnel. La main lourde et rattrapée par l’inconséquence, Servant relève désormais de la tarte à la crème mal cuisinée.