« Au début, je voulais appeler mon film Unreal, mais mon producteur m’a dit que Real c’était mieux – vous allez voir le film, à vous de juger ce qui est real et ce qui est unreal. » C’est en ces termes que Kiyoshi Kurosawa est venu présenter son dernier film à Paris. S’il n’est pas surprenant que le réalisateur touche-à-tout s’aventure sur les terres déjà bien connues par ailleurs du doute sur la réalité d’un film, cette nouvelle orientation de son style intrigue. Sorte de cousin alourdi de Kairo, Real semble avant tout se contenter d’explorer son concept, au détriment de toute réappropriation du monde. Comme si Kurosawa, pourtant auteur d’un diagnostic au triste pessimisme sur la santé du monde, choisissait de s’en détourner au profit d’une lecture plus ludique.
Ghost Director
Lorsque sa compagne fait une tentative de suicide, alors que rien ne le laissait présager, Fujita est dévasté. Aussi, lorsqu’on lui propose de faire partie d’une expérience visant à pénétrer dans le subconscient de la jeune femme pour la sortir du coma, se lance-t-il dans l’aventure. Mais le monde morbide des mangas que dessinait la jeune fille commence de pénétrer le quotidien de son compagnon, même lorsqu’il est « débranché ». Dès lors, la question se pose : qu’est-ce qui est réel ? La multiplicité des niveaux de réalité permet à Kurosawa d’alterner plusieurs styles visuels : on retrouve, ainsi, les hantises angoissées de Kairo ou de Retribution, avec des personnages nébuleux, omniprésents à la lisière du champ de vision, ou des scènes d’horreur plus effrayantes par leur soudaineté que par leur apparence même. Kurosawa va également créer des tableaux surréalistes, de paysages incertains baignés de brume aux réunions de famille fantômes. Parfois, les intuitions graphiques du réalisateur, soutenues par la partition grinçante de Kei Haneoka, suscitent réellement le frisson, et le sentiment que le réel se délite sous nos yeux.
Montagnes russes
Ces moments formidables évoquent les images les plus oppressantes orchestrées par le réalisateur, qui constituent les points d’orgue de ses films les plus pessimistes : Kairo, Cure, Charisma, Retribution… Toute une œuvre au service d’une perception délicatement illustrée d’un monde où le lien social cède, doucement, le pas à un isolement mortifère. Dans Real, cependant, ces moments terribles surgissent inopinément, au fil d’un récit qui constitue, de l’aveu même du réalisateur, sa deuxième adaptation d’un scénario qu’il n’a pas écrit lui-même (le premier ayant été la série télévisée Shokuzai). Kurosawa serait-il prisonnier de ce scénario, incapable d’en posséder le rythme ? Toujours est-il que le film s’achemine entre force et faiblesse, au fil d’un récit qui oscille entre le très convenu et le parfaitement surprenant. Avec ses pics formidables et ses longues plaines narratives, Real perd pourtant de sa cohérence, de la mécanique narrative implacable qu’on associe à Kiyoshi Kurosawa. Le titre Unreal eut donc bien mieux convenu, pour ce conte fantaisiste et macabre, qui ressemble à une pause ludique dans la filmographie de son auteur.