On ne change pas une équipe qui gagne : Woody refait donc équipe avec Scarlett pour un film qui se présente comme l’antithèse de Match Point. On retrouve dans Scoop les rues de Londres, l’aristocratie anglaise et la sensualité résolument cinégénique de l’actrice, mais cette fois au profit d’une de ces comédies qui ont fait le succès du cinéaste. On pourrait légitimement craindre un pas en arrière, redouter l’impression d’usure ressentie devant l’humour balourd d’Escrocs mais pas trop et, surtout, la lassitude de revoir, encore et encore, Woody Allen faire le même film pour la énième fois.
Mais Scoop, de façon quasi miraculeuse, tient admirablement la route. Le scénario évoque celui de Meurtre mystérieux à Manhattan (1993) : Sondra Pransky (Scarlett Johansson), jeune Américaine étudiante en journalisme en vacances à Londres, rêve du scoop qui fera d’elle un grand reporter estimé. En assistant au spectacle du magicien Splendini (Woody Allen), elle entre en contact avec le défunt Joe Strombel (Ian McShane), célèbre journaliste mort subitement en enquêtant sur un serial-killer et qui, depuis l’au-delà, va pousser la jeune femme à poursuivre l’investigation. Ses recherches vont la mener droit à Peter Lyman (Hugh Jackman), séduisant politicien aristocrate, que tout désigne comme le principal suspect. Mais le coup de foudre est immédiat et Sondra va devoir garder la tête froide si elle veut connaître la vérité…
Délicieusement farfelu, Scoop ressemble de loin à un pot-pourri des thèmes fétiches du cinéaste : la magie (Alice, Ombres et brouillard, Le Sortilège du Scorpion de Jade), l’enquête policière (Meurtre mystérieux à Manhattan) et, surtout, la screwball comedy des années 1940, genre qu’il a repris à son compte avec Diane Keaton et qu’il retrouve avec bonheur aux côtés de Scarlett Johansson. C’est d’ailleurs le plus beau coup d’éclat du film : leurs scènes en tandem sont irrésistiblement drôles, véritable démonstration de cette rare alchimie qui fait les plus grands couples de cinéma. Si leur duo fonctionne, c’est probablement parce que le cinéaste ne s’octroie plus le rôle de l’amant, mais celui du mentor : ainsi son personnage passe-t-il l’essentiel du film à se faire passer pour le père de l’héroïne. Débarrassé de la tentation, de plus en plus gênante avec le temps, de choisir des partenaires éternellement jeunes (Juliette Lewis, Helena Bonham-Carter, Julia Roberts, Téa Leoni), Woody Allen projette toute sa fascination pour Scarlett Johansson dans une mise en scène bienveillante avec son actrice, qui le lui rend bien : tout à la fois drôle, séductrice, débrouillarde et un peu cruche, Sondra est un personnage en or et la comédienne fait son miel de ce rôle qui lui permet d’exploiter des talents comiques insoupçonnés. Dans Match Point déjà, l’introduction de Johansson en femme fatale vénéneuse, engoncée dans une robe blanche décolletée, amenait un érotisme inédit dans le cinéma allénien. Ici, la nouveauté vient du mélange explosif entre le personnage de Sondra, qui en l’état aurait pu être joué par Diane Keaton ou Mia Farrow, et la sensualité naturelle de l’actrice. Le contraste est saisissant et le réalisateur peut remercier sa comédienne de lui avoir permis, en deux films, d’offrir de nouveaux attributs à ses personnages féminins.
Bien que beaucoup moins importante que dans Match Point, la haute société londonienne sert de toile de fond à de joyeux quiproquos entre nos deux héros, yankees jusqu’au bout des ongles, et le monde mystérieux et plein de secrets de l’aristocratie anglaise, symbolisé par ce politicien étrangement fade dont Sondra ne sait trop s’il est le mari idéal ou le parfait coupable. Incarné par un Hugh Jackman égal à lui-même (transparent) et donc étrangement cohérent avec le rôle, l’aristocrate est ici encore l’occasion pour Allen de développer le discours entamé dans son précédent film : le raffinement factice d’une noblesse en voie d’extinction cache une hypocrisie finalement bien pire que la vulgarité et l’outrance de ses compatriotes, aussi exaspérants soient-ils. À rebours de la noirceur de Match Point, Scoop joue la carte d’un optimisme triomphant jusque dans la mort. Qui d’autre que Woody Allen pourrait faire des blagues en présence de la Grande Faucheuse ? Personne, et cet humour, absurde et désespéré, terriblement absent de l’œuvre du cinéaste depuis quelques années, nous avait bien manqué.