À quoi tient l’échec de cette nouvelle adaptation du Transperceneige ? Tout d’abord à sa structure, point capital dans l’économie narrative d’une série. Alors que Bong Joon-ho livrait un film en ligne droite, où revenir en arrière semblait impossible, la série emprunte un chemin tout à fait différent en adoptant la forme d’un récit choral. Plusieurs personnages se renvoient la balle de l’avant à l’arrière du train et différents événements, d’importance toute relative, constituent un déroutant fil rouge où se mélangent révoltes des opprimés à l’arrière et romances à l’eau de rose en première classe. Tenant autant du récit policier (un passager en queue de train, jadis enquêteur, est enrôlé pour investiguer à l’avant de l’engin) que du mélodrame (avec relations impossibles et sentimentalité exacerbée), ce Snowpiercer fait de la lutte des classes la toile de fond d’un soap opera qui ambitionne de déployer, dans le creux de diverses péripéties amoureuses, une fable politique. Cette diversité se révèle n’être malheureusement qu’une astuce d’écriture permettant de dilater autant que possible un récit dont la mince colonne vertébrale est agrémentée d’une multitude de sous-intrigues. L’enquête policière, vite oubliée, apparaît à ce titre comme un simple prétexte afin d’introduire une foule de protagonistes qui, jusqu’au plus secondaire, auront droit à leur moment de bravoure ou d’intimité – la série ne cessant ainsi de vouloir gagner du temps et de retarder l’échéance d’une révolution. Typique des séries feuilletonnantes, ce genre de récit choral ne saurait être préjudiciable sur le papier, si seulement le concept même du « Snowpiercer » ne consistait pas à confiner des corps au sein d’un espace unidirectionnel. Bien qu’elle fasse de la taille de son train un véritable gimmick (la mention de ses 1001 wagons lançant le générique au début de chaque épisode), la série s’émancipe très vite de cette contrainte spatiale pour se résoudre à catapulter ses figures d’un bout à l’autre du véhicule.
Raccrocher les wagons
C’est là le deuxième échec de la série, qui ne parvient jamais à faire du train le ciment d’une mise en scène et d’un découpage spécifiques. Au contraire, Snowpiercer prend plutôt la forme d’un show télévisé classique, avec un recours abusif aux scènes de dialogues et aux gros plans en longue focale. La relation étroite entre la figure du train et l’art des images en mouvement offrait pourtant de nombreuses possibilités de mise en scène et de raccords, comme dans ce plan très bref à la fin de la série, où la caméra passe d’une fenêtre à une autre depuis l’extérieur, associant le défilement du train et des wagons à celui des images. Ce très court passage fait ici office d’exception, tant les réalisateurs de cette première saison semblent s’être mis d’accord pour donner à la série une forme atone et insignifiante. Dans l’avant-dernier épisode, le fractionnement du train laissait par exemple espérer un choix de montage fort, à savoir laisser hors champ tout ce qui se serait déroulé dans la portion abandonnée. Dans les faits il n’en est rien, le recours au montage alterné venant relativiser ladite scission en offrant une dernière scène d’absolution aux survivants isolés. C’est qu’il faut peut-être envisager ce choix autrement : dans cette partie du train se trouve un couple de très riches passagers au comportement jusqu’à présent exécrable. Cette dernière scène de rédemption les montre sous un nouveau jour, celui d’un couple aimant et protecteur, désemparé à l’idée d’être séparés de leur fille. Inoffensive, la série ne peut s’empêcher de gracier les puissants, de pardonner aux riches tous leurs travers.
Il faut dire que la primeur accordée aux dialogues tout au long de ces dix épisodes finit, à l’échelle du récit, par privilégier l’avant de la machine, luxueux et aéré, offrant plus d’intimité, de temps et d’espace aux personnages pour s’exprimer, au détriment de la queue, dans laquelle l’entassement des corps rend le moindre dialogue en tête-à-tête plus difficile à mettre en place. C’est le troisième revers de ce Snowpiercer, et non des moindres : dans ses choix scénaristiques et dans l’importance donnée à certains pans du train plutôt qu’à d’autres, la série ne parvient jamais à être à la hauteur de ses enjeux. Outre le privilège accordé à la tête du train plutôt qu’aux tailies, dont le sort ne semble en fait pas vraiment intéresser la série (davantage attirée par les relations qu’entretiennent entre eux les dominants), cette dernière rate aussi le coche d’une lutte intersectionnelle, manquant d’ajouter une donnée importante au film et à la BD à l’heure où la lutte des classes ne pourrait être envisagée sans prendre en compte des mouvements antiracistes, féministes et LGBT. C’est un angle mort de la série, qui préfère inclure les minorités sans jamais faire de leur orientation sexuelle, de leur genre ou de leur couleur de peau une question. On s’étonne de ne pas trouver ici une actualisation de la lutte, alors même que l’organisation du train suscite le souvenir d’événements historiques (la Shoah, les chambres à gaz mais aussi les abattoirs ou le sort des migrants) qui auraient pu lui donner plus d’envergure. En témoigne le dernier épisode, post-révolution, qui ne sait que faire de sa révolte et en vient à la conclusion, molle voire anachronique, que les inégalités de classe ne pourraient être perpétuées au sein d’un système démocratique (!). Face à un tel ratage, qui souffre de la comparaison avec le film de Bong Joon-ho, il est aussi facile que frustrant d’imaginer ce que la série aurait pu être si elle avait bénéficié d’un minimum d’inspiration et de bonne volonté.