Au regard de sa photographie stylisée et de son casting plutôt atypique (en particulier le trio de méchants, campés par Paul Dano, Colin Farrell et John Turturro), on pouvait espérer que The Batman tranche avec le ronron des blockbusters contemporains. Et de fait cette nouvelle mouture se distingue du tout-venant des films de super-héros, à un détail près, hélas de taille : son invraisemblable longueur (près de 3 heures), qui donne l’impression d’assister à un director’s cut bourré de bonus destinés aux fans. La chose est d’autant plus incompréhensible que Matt Reeves cherche moins à investir la figure de l’homme chauve-souris sur un versant épique (si l’on excepte le dernier acte, d’ailleurs le moins convaincant) que graphique. Le film s’apparente par endroits à une forme de ballet hallucinatoire : Gotham, apprend-on au détour de plusieurs dialogues, s’est piquée d’une drogue appelée « collyre » que les junkies s’injectent à même l’œil, quand Batman (Robert Pattinson), les paupières noircies, recouvre ses pupilles de nano-lentilles enregistrant des petits films qu’il se repasse ensuite en boucle. Le scénario dessine ainsi un cloaque urbain comme plongé dans une nuit quasi permanente et dominé par un néo-Mabuse au regard malade : le Sphinx (Paul Dano). Le film s’ouvre d’ailleurs sur sa vision, par l’entremise d’une paire de jumelles perçant l’intimité de l’appartement du maire de la ville. Toute l’intrigue est rythmée par sa quête paradoxale, qui vise à lever le voile sur les sombres secrets de la métropole en égrenant les messages cryptiques et les puzzles à décoder. Le personnage combine de la sorte la figure du serial killer et celle du lanceur d’alerte (avant de prendre, ultimement, les habits d’un terroriste d’extrême-droite), cherchant perversement à faire la lumière par l’obscurité.
À son meilleur, le film carbure à cette dynamique entre ombre et clarté. Deux scènes en particulier illustrent l’inventivité plastique dont le film fait parfois preuve, de manière hélas trop épisodique : un affrontement dans une pénombre striée d’éclats de mitraillettes, et surtout la course-poursuite entre Batman et le Pingouin (Colin Farrell), sur une autoroute transformée en un magma chaotique de pluie, de fumée, de feu et de tôles froissées. Mais si une poignée de scènes et une inspiration générale certes singulière font de The Batman un objet d’une tenue très supérieure aux productions du concurrent Marvel, il n’en demeure pas moins que le film, ventripotent, est inégal et pas tout à fait à la hauteur de ses promesses. Au-delà de la durée, la mise en scène de Reeves semble n’investir que de manière intermittente ses bonnes idées, et envisage trop souvent la noirceur parfois flamboyante de ses images comme un simple habillage cosmétique – le noir comme style pictural et littéral (la voix off du début et de la fin), ce qui permet au film de renouer avec une certaine tradition des bandes dessinées de DC (initiales, rappelons-le, de « Detective Comics »). C’est la contradiction de ce film peuplé de voyants et d’addicts aux images : s’il propose bien une vision, son regard est brouillé.