Wonder Woman 1984 n’est assurément pas un bon film, loin s’en faut, mais on aurait peut-être tort de le vouer aux gémonies. C’est qu’en troquant les tranchées de 14 – 18 du premier volet pour les rutilantes années Reagan, Patty Jenkins s’écarte de l’esprit de sérieux qui faisait l’échec du précédent opus, la faute à une mise en scène très emphatique où la greffe ne prenait jamais entre la candeur de Diana Prince, toujours au seuil de la caricature, et le drame d’un conflit gravé dans le marbre de l’Histoire. Ce deuxième volet embrasse au contraire la légèreté d’une période phare pour la pop culture contemporaine (cf. les références appuyées au Superman de Richard Donner) : Diana retrouve ainsi à ses côtés Steve Trevor, revenu d’entre les morts grâce au pouvoir de la « Pierre de Rêve », un artefact magique capable de réaliser les souhaits les plus chers, et que convoite secrètement le magnat de la télévision Max Lord.
Les beaux détails
Lord pourrait à lui seul résumer la superficialité assumée du film : sorte de bouffon avide de pouvoir, il se présente d’emblée comme une figure caricaturale, pastiche explicite de Donald Trump, à qui il emprunte une certaine fourberie, puisqu’il ne cesse ainsi de mentir et de donner le change au sujet de sa richesse pour obtenir l’aval de ses créanciers. Plus intéressante est la manière dont le film prend en charge l’autre antagoniste, Barbara Ann Minerva, personnage sur le papier véritablement passionnant. Cryptozoologiste timorée dans les premières minutes du film, elle prend progressivement l’ascendant au sein de la hiérarchie du Smithsonian Institute après avoir fait le vœu de devenir « comme Diana ». La découverte et le déploiement progressif de ses super-pouvoirs est ainsi l’occasion d’une belle idée de mise en scène, où s’annonce autant le devenir-monstrueux de celle qui se va transformer en « Cheetah » (hybride mi-femme, mi-panthère) que le renversement des logiques de pouvoir à l’œuvre dans l’institution : assise sur une table de réunion devant un parterre de chercheurs admiratifs, la scientifique voit sa silhouette prolongée par une série de tubes en plastique qui semblent jaillir de son corps, à la manière d’immenses tentacules occupant l’ensemble de l’arrière-plan.
La légèreté des enjeux, dont la réalité historique semble cette fois totalement exclue – exception faite du dernier quart d’heure, catastrophique, qui dessine le spectre d’une guerre avec l’U.R.S.S. –, se révèle propice, dans les meilleurs moments, à susciter l’euphorie et un certain sentiment d’apesanteur, dont le film fait parfois son miel. Jenkins propose à ce titre une vraie belle idée de cinéma en filmant Diana et Steve aux commandes d’un avion invisible, le soir de l’Independance Day. Traversant les feux d’artifices qui se reflètent sur leurs visages émerveillés comme s’il s’agissait de galaxies, le couple scelle son amour dans un décor substituant à la topographie de Washington D.C. un espace coloré et chatoyant – le caractère miraculeux des retrouvailles entre la surhumaine et le revenant s’en trouvant renforcé. Cette scène donne également sa matière à une autre séquence en miroir, qui acte la séparation définitive du couple après que Diana ait choisi de renoncer à son vœu (retrouver l’homme de sa vie par-delà la mort) afin de vaincre Lord. Le travelling arrière qui accompagne la course de l’Amazone à travers les rues de Washington épouse alors la distance qui se creuse infiniment entre elle et son amant, caché derrière un mur, dont l’évanouissement restera hors-champ. Que la séquence finisse par une (littérale) envolée lyrique, durant laquelle Wonder Woman s’élève dans les airs, n’a rien d’une faute de goût, mais révèle un substrat féministe assez finement dessiné : affaiblie après la résurrection de son compagnon, la super-héroïne « vampirise » l’énergie du moribond jusqu’à s’approprier son propre pouvoir (être capable de voler). La séparation acte en somme un processus de régénération, au point qu’elle finit par revêtir une armure dorée, forgée à partir des tenues de combats d’autres Amazones, symbole solaire du triomphe de la sororité.
Cette articulation entre sincérité dans les affects, déjà à l’œuvre dans d’autres productions DC (comme le notait Adrien Dénouette à l’occasion de la sortie de Suicide Squad), et adhésion au merveilleux, met ainsi à l’honneur un versant intime que la fin du film, bien que ratée, viendra confirmer : l’amour d’un père s’y révèle plus fort que l’ambition démiurgique du méchant, de manière à déjouer au dernier moment l’éventualité d’un cataclysme nucléaire. Certes mièvre, WW84 a au moins le mérite d’injecter un peu d’humanité chez les übermenschen de la Justice League.