L’explosion des franchises de super-héros nous a appris au fil des années à considérer chaque nouveau film (et désormais série, avec le lancement de Disney+) comme la pièce d’un « univers », mais The Suicide Squad pousse la logique un peu plus loin, puisqu’il s’inscrit autant dans le « DCEU » (« DC Extended Universe ») qu’il se présente comme une forme de métastase de l’Univers Marvel. Dans la course à l’échalote à laquelle participent les deux studios, la succursale de Disney a un train d’avance, ce dont les films DC semblent avoir conscience, comme en témoigne la manière dont les manettes de Justice League (Joss Whedon, pilote des deux premiers Avengers) et de The Suicide Squad (James Gunn, réalisateur des Gardiens de la Galaxie) ont été confiées à des transfuges du studio aux grandes oreilles. Une stratégie qui vise naturellement à décalquer certaines recettes. Par exemple, Nanaue, homme requin idiot et vorace, n’est pas sans rappeler Groot, l’extraterrestre végétal des Gardiens : au-delà d’évidents points communs (le rôle de colosse un peu bêta et doux), leurs voix ont été confiées respectivement à Sylvester Stallone et Vin Diesel, deux figures d’actioners qui sortent ici de leurs rôles habituels. Mais cette manière de rejouer des idées déjà aperçues chez Marvel, voire de glisser quelques clins d’œil au studio concurrent (Ratcatcher II, dont le pouvoir est de commander aux rats, se voit rebaptisée « ratatouille » ; Taika Waititi, réalisateur de Thor : Ragnarok, fait une petite apparition), s’inscrit pour autant dans une volonté de décalage et de grand écart avec le ronron de la production adverse.
Libéré en partie des contraintes de Disney, chez qui la violence est toujours ripolinée, James Gunn va donc pouvoir amener son film, qui obéit au fond aux mêmes recettes que Les Gardiens… (petits clips repliés sur eux-mêmes, ralentis, iconisation des personnages et humour méta), vers des tonalités plus gores, mais aussi par endroits plus régressives. Tandis que le film s’ouvre sur un déchaînement de violence graphique et de corps maltraités, il s’achève sur un spectacle presque parodique, avec un affrontement contre une étoile de mer géante. Cette tentative ne marche toutefois qu’à moitié : quand bien même Gunn cherche à s’écarter du train-train du film de super-héros par deux extrêmes (du « gorelesque » à la pochade), il n’accouche que d’un spectacle pop très conscient de lui-même, faussement pirate et s’achevant sur un éloge convenu des mal-aimés sous-estimés. Derrière la façade d’un divertissement tenu, animé ici et là par des figures vaguement amusantes (l’homme-requin), The Suicide Squad multiplie d’apparents pas de côté pour toujours aboutir à un retour du même. Exemplairement, il s’achève sur une énième scène post-générique annonçant le lancement d’une série télévisée à venir. Sur le modèle de Marvel, donc.