Difficile d’évoquer The Hunt sans mentionner le tintamarre provoqué par sa sortie aux Etats-Unis. D’abord mis sous le tapis à la suite des tueries de Dayton et d’El Paso aux États-Unis l’été dernier, décrié par Donald Trump et une partie de la presse américaine, le film de Craig Zobel a été reprogrammé en début d’année avant que la crise du Covid-19 ne le repousse une fois de plus. Les salles enfin rouvertes, The Hunt sort en France accompagné d’une étiquette de « film dangereux », qu’il ne manque pas de mettre en avant. Son producteur Jason Blum n’en est effectivement pas à son coup d’essai en la matière : de American Nightmare à Sans un bruit, il est passé maître dans l’art de bâtir des rumeurs, de monter en épingle des films souvent médiocres en promouvant un concept fort. Soit ici un film de chasse à l’homme, coécrit par Damon Lindelof et inspiré de The Most Dangerous Game (déjà adapté dans Les Chasses du Comte Zaroff), où de très riches libéraux s’attaquent à des proies humaines, des « gens du peuple » sélectionnés pour leur inculture, leur homophobie ou leur racisme notoire – quand il ne s’agit pas tout simplement de braconniers, de militants pro-life ou de climatosceptiques. De leur côté, les tueurs se revendiquent à maintes reprises du progressisme « woke », du mondialisme, de l’antiracisme et tutti quanti. Un programme qui n’est pas sans rappeler le ton satirique de Get Out, lui-aussi produit par Jason Blum, dans lequel de fervents électeurs d’Obama s’adonnent à des expériences machiavéliques, mais aussi le postulat de la récente série Watchmen, chapeautée par Lindelof, au début de laquelle le pouvoir se place du côté des Afro-américains tout en malmenant des groupes de rednecks racistes.
Parce que le film s’avère incapable d’amener cet argument sur le terrain de la mise en scène, tout se joue, sans surprise, dans les dialogues et les apartés entre deux scènes d’action, lorsque les tueurs prennent le temps de débattre de leur droit à pouvoir dire « black » ou « African American » et s’indignent de la mort d’un ours blanc à la télévision. The Hunt revendique par là une forme d’humour caustique, volontairement balourd, consistant à tourner en dérision l’affrontement outre-Atlantique entre des libéraux déconnectés de la réalité et un « peuple » réduit à sa frange la plus droitiste. Sur ce point, il faut dire que The Hunt n’a d’ailleurs rien de vraiment scandaleux, en ce qu’il dresse, dans un premier temps, plusieurs constats volontairement polémiques (entre autres : le progressisme serait un privilège de classe, les classes populaires partageraient des valeurs ancrées à droite, etc.), mais peine finalement à livrer une conclusion à la hauteur de ses ambitions. À la fin du film, il est ainsi révélé que l’une des proies prises en chasse par les riches a bien lu La Ferme des animaux, comme pour nuancer mollement un parti pris trop gros pour être tenu sur la durée. Passé l’assimilation de son public-cible avec les bourreaux de l’histoire (et non plus avec les victimes, comme ce pouvait être le cas, par exemple, dans Massacre à la tronçonneuse), The Hunt se dégonfle très vite et suscite un ennui poli, faute de parvenir à provoquer ou ne serait-ce qu’irriter son audience. Mise en scène quelconque, rebondissements téléphonés et séquences d’action rendues illisibles par un montage bâclé : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une énième série B tentant de dissimuler ses lacunes sous un mauvais esprit de façade. À l’exception de la performance notable de Betty Gilpin dans le rôle principal, dont le jeu repose du reste essentiellement sur une forme de nonchalance et de détachement vis-à-vis de l’action et des atrocités qui prennent part sous ses yeux, on peine à trouver quelque chose à sauver.