Le générique et le dernier plan de Us, le nouveau film de Jordan Peele, n’ont a priori (mais a priori seulement) rien en commun : le premier s’ouvre sur la cage d’un lapin alors que le second débute par le survol d’une route. Les deux scènes se révèlent pourtant exactement mues par le même mouvement, à savoir un élargissement du cadre qui vient révéler l’ampleur insoupçonnée de ce que se trouvait initialement hors-champ. Cet effet, surgissant sous des formes bien distinctes aux deux extrémités du film, dit bien l’horizon qui anime Us, spectacle du déploiement d’une idée simple (les membres d’une famille d’Afro-Américains tombe nez à nez avec leurs doubles maléfiques) qui gagne en complexité et en ambition au fur et à mesure que le récit progresse. La notion de spectacle semble d’ailleurs parfaitement assumée par le film, dont les lapins, à l’honneur du générique, la fête foraine au cœur de l’intrigue et la présence de masques illustrent le goût de la manipulation. De la même façon que le déploiement n’a d’autre fonction que de mettre en valeur l’ampleur de ce qui était caché, l’entrelacement de ces symboles vient toutefois davantage mettre en abyme le cap du récit qu’il ne construit un réel réseau de signification. Car si le film repose sur des intentions certes séduisantes (surprendre, pousser dans ses derniers retranchements un cadre narratif, basculer d’une échelle à l’autre), il n’accouche finalement que d’un petit tour de passe-passe. Peel a beau distiller les signes que sa fable cauchemardesque pourrait recouvrir une allégorie politique (lorsqu’on demande pour la première fois aux doubles ce qu’ils sont, celui de l’héroïne clame « We’re Americans ! »), cette dernière se révèle au fond assez pataude – une foule de laissés-pour-compte remonte à la surface pour doublement désunir l’Amérique, d’abord avec des ciseaux, l’instrument de mort des doppelgänger, puis avec une chaîne rouge qui vient couper le territoire en deux.
Il est d’ailleurs symptomatique que le film s’en remette à un monologue pour révéler le fonctionnement de l’inframonde grouillant sous la surface en apparence apaisée de Santa Cruz, tant l’avancée du récit repose moins sur la mise en scène (à l’exception, peut-être, de la scène nocturne où la villégiature de la famille se voit envahie) que sur l’enchevêtrement de retournements scénaristiques et d’un mariage, déjà à l’œuvre dans Get Out, entre bouffonnerie et épouvante. À nouveau, le film se révèle cependant plus convainquant sur son versant comique, porté notamment par le jeu outré de Lupita Nyongo’o, l’atout numéro un du film, que sur son versant strictement horrifique, que de toute façon Peele finit par convertir en second degré (la réaction de l’héroïne lorsque se répète un jump scare provoqué par le surgissement d’une chouette dans la fête foraine). Il paraît dès lors un peu rapide de déceler dans cet attelage d’audaces scénaristiques, de sous-texte politique et de ruptures de tons une véritable virtuosité. Us confirme plutôt le côté petit malin du cinéma de Jordan Peele, dont le talent consiste surtout pour le moment à sortir un lapin de son chapeau dix ou quinze fois au cours d’un même film. C’est en l’état un brin limité.