Film à sketches plongé dans le monde merveilleux des affaires, The Laundromat transforme le scandale des Panama Papers, qui a abouti en 2016 à la révélation d’innombrables niches fiscales, en une farce amère. Campée par Meryl Streep, la veuve Ellen Martin, première à faire les frais des sociétés offshore, va s’atteler à glaner des informations afin de lever le voile sur le naufrage d’une embarcation touristique dont aucun responsable n’a pu être désigné – enquête qui va la mener jusqu’au cabinet d’avocats Mossack Fonseca, épicentre de l’affaire. Si les séquences autour de cette figure pivot s’avèrent localement intéressantes, la limite de ce film-dossier tient à son didactisme particulièrement balourd. Le jeu caricatural de Gary Oldman et Antonio Banderas, qui incarnent Jürgen Mossack et Ramon Fonseca, est représentatif de cette pesanteur dont le film ne se défait presque jamais. En multipliant les clins d’oeils et les appels du pieds au spectateur, ces derniers guident le récit et relient les différents sketches à grand renfort de regards caméras, de petits rictus aguicheurs et de postures faussement victimaires. Ces interventions systématiques, visiblement inspirées par The Big Short et Le Loup de Wall Street, désamorcent tout ce que Soderbergh tente ailleurs de mettre en place.
Le sketche le plus convaincant du film, intitulé « Le b-a-ba des pots-de-vin », est celui où les deux avocats n’apparaissent que tardivement. Dans ce segment, où l’on aperçoit ici et là la vivacité dont peut faire encore preuve Soderbergh quand il s’agit de mettre en scène la contagion virale d’une information, un richissime père de famille est surpris par sa fille en train de flirter avec sa jeune colocataire. Après avoir tenté d’étouffer cette affaire domestique en promettant de léguer des millions à sa fille, il se retrouve pris au piège par la rapidité de la communication numérique de son entourage (SMS, coups de téléphones et appels vidéo), circulation à l’origine d’une série de quiproquos qui se terminera par la fuite du mari infidèle. Au-delà de ce segment où l’usage du numérique transforme un petit drame familial en une grotesque pantalonnade, la dernière scène du film dialectise cette influence des nouveaux médias sur les rapports de force dans la société contemporaine. Bien que toujours alourdie par le poids du symbole (rien n’y échappe), la séquence en question suit Meryl Streep en train de se défaire d’un costume de secrétaire panaméenne. En un long travelling, elle entre dans un studio de cinéma bardé de fonds verts, avant d’imiter la statue de la Liberté et de dénoncer les paradis fiscaux qui ont, depuis la fin des Panama Papers, élu domicile sur le sol Américain. Cette image envisage dès lors le numérique, cet espace que l’on pénètre pour révéler sa vraie nature (ici, une allégorie), comme un médium aussi ambivalent que la statue elle-même : une terre d’accueil démocratique au service de la lutte autant qu’un Eden possible pour les vautours masqués du capitalisme.