Le blizzard après la détonation
Si Kaboom avait marqué un regain d’intérêt de Gregg Araki pour la Doom Generation, sexuelle et explosive, on pourrait facilement croire que le cinéaste aurait succombé, avec cette nouvelle réalisation, à la tentation d’une certaine forme d’assagissement. La rupture entre les deux films apparaît d’autant plus évidente que White Bird affiche fièrement une esthétique plus sobre, plus éloignée de l’univers pop et édulcoré qui avait animé les aventures de Smith et sa bande. Pourtant Kat n’en garde pas moins une certaine ressemblance avec ses comparses de Kaboom ; non pas dans l’usage des stupéfiants, mais dans la recherche d’un individu. Sa mère disparaît subitement sans laisser de traces, et sans provoquer de bouleversement chez son père ni en elle-même. La disparition apparaît d’autant plus énigmatique qu’elle intervient à un moment où l’adolescente prend conscience de sa sexualité, et expérimente ses premiers émois amoureux.
En adaptant le roman de Laura Kasischke, le cinéaste inscrit son intrigue dans le décor calme et pavillonnaire de la middle class américaine et reste éloigné, en apparence, des turbulences étudiantes de ses précédents films. Seulement, ce décor tranquille devient moins pour la jeune femme le terrain d’une enquête policière que celui d’une réelle expérimentation. Kat poursuit en effet une routine teenage totalement ordinaire entre les soirées pyjamas, ses disques de rock et l’exploration de ses propres désirs, alors qu’elle se retrouve brutalement coupée de son modèle maternel désirant et désiré. La jeune Kat tente alors composer avec l’absence dans cet univers feutré, bercé par la musique des Cure, des Depeche Mode et autres emblèmes eighties, qui soulignent si bien le goût du cinéaste pour les ambiances rétro.
Loin de la figure fantomatique classique, la mère continue de hanter régulièrement les rêves de l’adolescente, dans des tons et des couleurs certes exacerbés, mais qui contrastent avec son état profondément laconique. Le film s’orchestre alors comme un balancement, un va-et-vient incessant entre le dépérissement de cette mère et l’éveil sentimental de la jeune femme. Si White Bird s’inscrit dans la même filiation adolescente que les précédents films du cinéaste, il n’en revendique donc pas moins une certaine originalité de forme et de fond, permettant au film d’exhiber un mécanisme interne de transition et de conflit. La découverte de la sexualité de Kat provoque ainsi un schéma d’attraction-répulsion chez sa propre mère, qui ne peut supporter la sexualité émergente de sa propre fille et finit par y voir une menace envers sa propre capacité de séduction. Explorée à l’aide de flash-backs successifs, cette dualité permet de faire exister la disparition de la mère comme un motif d’introspection, et confère à la voix-off une réelle légitimité narrative.
La faille derrière le vernis
Pourtant, si cette voix-off relate les événements troubles qui précèdent la disparition soudaine de sa mère, Kate demeure un personnage passif, qui préfère séduire l’inspecteur plutôt que de faire avancer l’investigation ou se confronter aux suspects. Et c’est bien dans ce décalage, entre la passivité de l’enquête et l’activité sexuelle naissante de la jeune fille, que l’on peut retrouver une certaine audace du cinéaste, qui offre à Eva Green une composition particulièrement réussie. Le rôle de cette mère permet en effet à l’actrice d’étoffer son interprétation d’une autodérision adaptée : sa sensualité apparaît comme éphémère et menaçante, et atteint son paroxysme lorsqu’elle tente de séduire ouvertement le copain de Kat. Mais si la mère existe comme une menace ambivalente, c’est qu’elle incarne le lien entre la surface et la profondeur, entre l’effort de la conformité sociale et le mépris de soi, et s’exhibe comme une névrose à part entière, théâtrale et grande gueule. C’est cette même schizophrénie qui offre au cinéaste l’occasion de poursuivre une exploration adolescente, certainement moins déjantée que dans ses précédentes œuvres, mais parcourue par la même désillusion ; celle du délicat passage à l’âge adulte, exprimé ici dans son toute son étrangeté et son caractère inquiétant.