Pour son quatrième long-métrage, Gregg Araki a choisi un thème fort et controversé : la pédophilie. Mais en confrontant de manière mécanique la destinée de deux adolescents que tout oppose à priori, le réalisateur annule ses propres intentions et « nettoie » son film de toute ambiguïté morale.
Neil et Brian ont huit ans lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois sur un terrain de base-ball. Dix années sont passées et chacun a vécu sa vie sans jamais recroiser le chemin de l’autre. Et pourtant, Brian, adolescent asexué planqué derrière ses grosses lunettes, fait le même cauchemar depuis cette rencontre, depuis cet été où cinq heures de sa vie ont totalement disparu, volées par d’immondes extraterrestres avides d’expérimentations. Persuadé que Neil peut lui révéler la clé de cette énigme, il se met en tête de le retrouver. Tout son contraire, celui-ci est devenu un jeune éphèbe qui mène une vie chaotique où prostitution et drogues viennent contrebalancer l’absence symptomatique de plaisir.
Selon un procédé somme toute assez classique et très linéaire, le réalisateur pose l’existence de ces deux adolescents que rien ne prédispose à se rencontrer. L’un est inhibé et complexé tandis que l’autre ne vit que pour le sexe et la défonce. Ce qui les rapproche ? Un père en retrait ou carrément absent (forcément) et un secret de polichinelle que la mise en scène, trop démonstrative, trahit très rapidement. Pourtant, le (très beau) portrait de Neil aurait pu, à lui seul, transformer ce film décevant en véritable objet de fascination. Car en osant parler d’une relation pédophile du point de vue d’un enfant a priori consentant, Gregg Araki transgresse bon nombre de tabous, évitant le manichéisme souvent requis pour ce type de sujet. Si cette audace peut cependant inquiéter pendant quelque temps, le réalisateur témoigne d’un savoir-faire assez exceptionnel et évite les pièges inutilement dangereux en captant toute la vacuité de l’après. Car depuis cette première et courte jouissance, Neil flotte et erre, mélancolique, comme si plus rien ni personne ne pouvait l’atteindre, lui dont le corps est devenu un antre de jouissance éphémère.
Mais ce personnage fascinant effraie tout autant l’entourage proche que le réalisateur qui préfère lui opposer un garçon gauche et complexé au risque d’annuler toute cette audace qui faisait la force du film. Leurs deux vies s’emboîtent alors comme deux inoffensives briques de Légo, justifiant consciencieusement, jusqu’au dénouement particulièrement décevant, la présence de chaque personnage, de chaque scène. Ici, bien loin du cinéma torturé de Lynch auquel le cinéaste fait manifestement référence (revoyons plutôt Twin Peaks : Fire Walk With Me sur un sujet sensiblement similaire), la solution fait partie intégrante de l’équation, ce qui donne au spectateur une bonne avance sur l’enjeu du film qui, pour le coup, s’amenuise à vue d’œil. À voir comment, dans la scène finale (plus maladroite encore que le dénouement psychanalysant de Marnie d’Alfred Hitchcock), le réalisateur met l’inconscient de ses personnages au rabais, en s’attachant à mettre systématiquement des mots sur l’indicible, à expliciter ce qui aurait pu encore nourrir une forme d’ambiguïté, on est en droit de s’interroger sur les véritables intentions d’un film qui, n’opposant qu’ombre et lumière, s’est vu contraint de faire un choix pour le moins simpliste. D’un sujet brûlant, Gregg Araki, figure de proue du cinéma gay indépendant, n’a tiré qu’une tiède histoire, consciencieusement classée avant que le spectateur ne quitte la salle.