La sortie de Kaboom, le dernier film de Gregg Araki, est l’occasion d’un entretien avec ce jeune acteur, qui nous explique autant son parcours que sa vision personnelle du film et sa soif de mise en scène.
Vous avez débuté très jeune au cinéma, en tant qu’acteur. Saviez-vous dès le début que c’était ce que vous souhaitiez faire plus tard ?
Non, et je ne sais toujours pas si c’est ce que je veux faire de ma vie. Je me sens davantage attiré par la réalisation, l’idée d’être derrière une caméra, mon frère voulant être lui aussi réalisateur. Ma carrière d’acteur a débuté par hasard. Ce n’est pas ce que mes parents souhaitaient à la base pour moi, mais ils n’ont pas essayé d’intervenir dans ce qui s’offrait à moi.
C’est surtout dans des moments comme celui-ci, comme lorsque je suis à Paris pour assurer la promotion d’un film, que j’aime faire ce métier. C’est étrange de grandir tout en étant acteur car vous êtes très seul. C’est une vie de solitaire, et c’est la raison pour laquelle je n’ai presque jamais connu des personnes de mon âge.
Pouvez-vous nous expliquer comment s’est effectuée votre rencontre avec Gregg Araki ? Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce projet ?
Je suis un très grand admirateur des films de Gregg, et deux avant de tourner Kaboom, j’ai demandé à le rencontrer simplement pour lui dire combien j’adorais son travail.
J’ai découvert Gregg Araki par Mysterious Skin. Ayant moi-même été abusé dans mon enfance, ce film m’a fait l’effet d’une claque. J’étais étonné de voir qu’un film ose aborder ce thème, de façon explicite. J’étais également violent et très agressif durant mon adolescence. Nowhere et The Doom Generation m’avaient rappelé cette période de ma vie.
Lorsque j’ai rencontré Gregg, nous nous connaissions un peu, car nous avons le même manager, mais sans plus. J’ai ensuite reçu une copie du scénario environ un an avant le tournage. Je me suis tout de suite dit que c’était un rôle pour moi, que personne d’autre ne devait interpréter ce personnage, que je devais être Smith. Cependant, j’ai passé les auditions sans traitement de faveur, comme tous les autres.
Y a‑t-il des aspects dans le scénario qui vous ont dérangé ?
Pas vraiment. Je crois que les autres acteurs ont plus été surpris que moi par le script car j’étais déjà très familier avec l’univers de Gregg. À la première lecture je me suis tout de suite dit que c’était pleinement du Araki. C’est le genre de scénario que j’espérais de sa part, car son dernier film, Smiley Face, ne reflétait pas à mes yeux son « vrai » cinéma.
J’ai eu un terrible sentiment de déception à la sortie d’Inland Empire de David Lynch, car j’avais détesté ce film, alors qu’il est un de mes réalisateurs préférés. J’étais quasiment en larmes en sortant de la salle, parce que j’avais l’impression d’avoir perdu mon mentor.
De la même manière quand j’ai vu Smiley Face, bien que le film soit fantastique, j’avais peur que Gregg perde sa patte, son identité. Quand j’ai lu le script de Kaboom, je ne pouvais du coup qu’être rassuré et excité à l’idée de faire ce film.
Comment était l’ambiance durant le tournage ?
Très bonne. Gregg est un réalisateur très exigeant avec ce qui est visuel, et vous répète constamment vos déplacements. On ne pouvait pas non plus s’éloigner des dialogues, qui sont très précis. Mais il nous donnait beaucoup de liberté dans l’interprétation.
Il passe beaucoup de temps à dénicher la bonne personne, et une fois qu’il croit l’avoir fait, il lui donne toute sa confiance. Dès que je l’interrogeais sur sa perception du film ou du personnage, il se montrait cependant très secret. C’est sa façon de faire. Même s’il y a un arrière-plan plutôt sombre dans Kaboom, il reste une personne très vivante et agréable. Un ami, Brady Corbet (le jeune Brian Lackey dans Mysterious Skin), est du même avis, et pour lui aussi tourner avec Gregg était une expérience réellement enrichissante sur le plan créatif, malgré l’aspect très noir du film.
Vous déclarez souvent que les films de Gregg Araki peuvent être perçus à la fois comme dépourvus de sens et lourds en significations. Quelle est donc votre opinion à propos de Kaboom ? Simple teenage movie ou évocation plus complexe de l’adolescence ?
Lorsque j’avais évoqué cette distinction, je faisais davantage allusion à Kaboom qu’à l’ensemble de ses films. Kaboom incarne pleinement ce paradoxe. Gregg a dès le début affirmé son souhait de faire une sorte de « party film », léger, drôle et extrêmement sexy. Mais lorsque j’ai lu le script, l’histoire était, à mes yeux, plus profonde.
Je pense que le film veut nous montrer que lorsqu’on est jeunes, on déconne parce qu’on se sent libres, alors que plus tard on perd beaucoup de temps dans des futilités censées n’appartenir qu’à l’époque de la fac, comme les relations passagères ou le sexe à outrance. Pour moi le film pose la question de savoir si lorsque la fin du monde est proche, on se sent satisfaits de ce qu’on a accompli jusque-là. Le film est un encouragement à profiter de la jeunesse, mais aussi à en faire quelque chose de plus productif, et je crois que c’est un message important pour les adolescents américains, qui ont tendance à sérieusement s’ennuyer. Cependant, le film se moque également de cette inactivité, car il est très rythmé, et avec beaucoup d’humour.
Je pense que cette distinction contribue à la spécificité du cinéma de Gregg, qui encourage clairement à faire ce que l’on veut de sa vie. Il se fout lui-même des critiques vis-à-vis de son film, et revient rarement en arrière. Il préfère se concentrer sur les projets à venir.
Le public vous connaît surtout pour votre personnage dans Les Chroniques de Sarah Connor, dans lesquelles vous interprétez un jeune homme très droit, aux antipodes de Smith dans Kaboom. Comment vous êtes-vous donc préparé pour le rôle de Smith ?
J’aime beaucoup ce rôle, ainsi que la série. Cependant, si j’avais écouté mes goûts personnels, ça n’est pas le genre de rôle que j’aurais naturellement choisi d’interpréter. La série a plus été une opportunité de travail qu’un réel choix. Kaboom, ainsi que les autres films plus indépendants que j’ai pu faire, me correspondent davantage.
Le film de Gregg était l’occasion de me libérer, de rompre avec mes rôles habituels, d’autant que cela faisait depuis plus de deux ans que j’interprétais le personnage de John dans la série. Je recherchais un rôle plus risqué, plus intéressant. Avec Kaboom j’allais devoir me montrer nu, plus intime, plus ouvert, et en tant qu’acteur, je pense qu’il est important de rechercher constamment des défis, pour ne pas s’ennuyer bêtement dans le même genre de rôles.
En plus d’être acteur, vous êtes également réalisateur, scénariste, et producteur. Comment parvenez-vous à endosser toutes ces casquettes ?
Cela est surtout lié au fait qu’à chaque fois je manque d’un budget suffisant. À l’âge de six ans j’ai joué dans un film de John Carpenter (Le Village des damnés), qui est un réalisateur beaucoup plus respecté en Europe, et nous sommes restés de très bons amis.
J’ai appris énormément de choses avec lui, notamment sur le plan technique, parce que je n’avais pas le temps de faire une école de cinéma, et que je travaillais déjà en tant qu’acteur. Grâce à lui j’ai justement appris à faire de ce métier une sorte d’école, en observant comment se comporter sur un plateau, et comme j’étais très curieux, je n’hésitais pas à l’interroger sur ses choix techniques. J’ai commencé à écrire très tôt et mon prochain film sera tiré d’un scénario que j’avais débuté lorsque j’avais treize ans. Certaines choses changent avec le temps, mais j’ai toujours envie de réaliser le même genre de films et mon rapport au cinéma n’a pas non plus beaucoup changé.
Mon père était lui aussi un grand cinéphile, et durant mon enfance je regardais environ trois films par jour. À sept ans mes films préférés étaient Carrie et Shining. En tant qu’acteur ou réalisateur, je me sens toujours attiré par ce genre de films violents et choquants. La vraie valeur d’un film est à mes yeux son audace, et je déteste généralement qu’un film se montre trop timide, peureux, et gâche ainsi ses possibilités.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les films que vous avez réalisés, et qui demeurent inconnus en France. Avez-vous des sujets de prédilection ?
Mon dernier film s’intitule Whore (« Pute ») et évoque une obsession très présente parmi la jeunesse américaine, pour la célébrité et Hollywood. C’est une obsession très inquiétante, car elle vous fait croire que la célébrité peut vous construire alors que c’est bien sûr faux. C’est une spirale du dégoût vis-à-vis de soi-même.
Le film met en scène des jeunes femmes qui sont prêtes à tout pour devenir célèbres, quitte à plonger dans la drogue ou la prostitution. La plupart des événements du film sont inspirés d’interviews que j’ai menées auprès de prostituées, et dont les histoires personnelles m’ont interpellé. Mais faire un film autour de la prostitution n’était pas mon objectif, car c’est un thème risqué, qui a déjà été abordé par des réalisateurs comme Larry Clark ou Gus Van Sant. Je voulais faire un film sur l’état d’esprit de ces personnes, qui croient vivre un rêve hollywoodien, alors que ça n’est clairement pas le cas. Le film est un peu sarcastique, cruel. Gregg ne l’a pas aimé, et l’a trouvé trop sombre, trop dépressif.
Vous déclarez également être un fan de la réalisatrice Catherine Breillat. Y a‑t-il des réalisateurs français avec lesquels vous aimeriez travailler ?
Les films européens sont ceux que je regarde le plus. J’adore Catherine Breillat, et surtout son film À ma sœur. J’étais très nerveux à l’idée de jouer avec Roxane Mesquida, parce que j’avais adoré sa prestation dans ce film que j’avais vu pour la première fois lorsque j’avais quinze ans. Ce film était une étude fantastique sur les rapports conflictuels entre le féminin et le masculin. Cependant, mon film préféré est La Pianiste, du réalisateur autrichien Michael Haneke. Je me sens beaucoup plus proche du jeu des actrices en général. Isabelle Huppert dans La Pianiste, Charlotte Gainsbourg dans Antichrist… c’est le genre de performances que j’admire, et qui m’inspire. Je n’aime pas cette tendance aux États-Unis qui consiste à rendre les acteurs insensibles, presque machos.
J’aime au contraire les réalisateurs qui vont au bout des choses, comme Michael Haneke ou Lars von Trier. Je suis également un grand admirateur de réalisateurs « classiques », comme Robert Bresson, et le film Lancelot du Lac qui a profondément marqué mon enfance. Il y a aussi Jean-Luc Godard, dont j’ai découvert le film Alphaville la semaine où on a entamé le tournage de Kaboom, et qui figure parmi les réalisateurs préférés de Gregg.