À l’occasion de la sortie de son nouveau film Kaboom, Gregg Araki nous évoque une forme de retour aux sources, derrière lequel se dessine un vœu cher au cinéaste ; repousser encore et toujours plus loin une liberté cinématographique.
Kaboom est souvent comparé à vos films de la « Teen Apocalypse Trilogy » (Nowhere, The Doom Generation) mais paraît beaucoup moins violent, et s’apparente délibérément à une comédie douce et déjantée. Comment vous situez-vous par rapport à cela ?
Si on établit en effet une comparaison entre Kaboom et The Doom Generation, on peut s’apercevoir rapidement que Kaboom est un film bien plus comique, léger et optimiste. Je pense que la principale différence entre ces films renvoie au fait que je ne suis plus la même personne qu’avant, en tant qu’individu et réalisateur. Depuis le tournage de The Doom Generation en 1995, il y a plusieurs choses importantes qui sont apparues dans ma vie. J’aurais pu certes réaliser Kaboom en 1995 ou tourner aujourd’hui le Doom Generation de l’époque. Mais je crois qu’entre-temps les expériences que j’ai vécues et les films que j’ai réalisés ont été nécessaires pour donner naissance à Kaboom. Mysterious Skin est considéré comme mon film le plus sombre, le plus noir, alors que Smiley Face est mon film le plus optimiste, le plus léger. J’ai l’impression que cela fait de Kaboom une combinaison entre tous ces éléments.
Entre-temps justement, est-ce que c’est votre regard sur l’adolescence américaine qui a changé ou considérez-vous que ce sont les adolescents américains eux-mêmes qui se sont métamorphosés ?
Je crois que Nowhere et The Doom Generation s’inscrivent dans un temps différent, et que le monde actuel est à son époque la plus incertaine. J’ai le sentiment que la liberté sexuelle et que l’éclatement de toutes les barrières devient progressivement une réalité parmi les jeunes. Kaboom est l’écho d’une vulnérabilité, d’une sensibilité de cette jeunesse.
Vous présentez généralement Kaboom comme un « bisexual Twin Peaks in college ». Dans quelle mesure David Lynch a‑t-il été une influence importante dans votre cinéma et dans votre vie ?
J’ai une très grande admiration pour ce cinéaste, qui compte à mes yeux parmi les figures les plus visionnaires du cinéma contemporain. En son temps, Twin Peaks a réellement révolutionné les choses, et a repoussé plusieurs limites. Cette œuvre a instauré un monde, a conquis son propre public, tout en faisant voler en éclats une certaine sagesse américaine et certains genres, car le film mêle film noir, humour, horreur et surnaturel. De la même manière j’aimerais que Kaboom aspire à son propre devenir, qui renvoie aussi bien à sa naïveté qu’à la tournure sauvage qu’il prend à un moment donné. Le film a sa propre structure, mais il obéit également à un désordre, à un chaos presque complet, visible dans les masques, les supers-pouvoirs, et dans le fait que tout semble susceptible d’arriver.
Vous avez remporté la première Queer Palm durant le dernier festival de Cannes. Quel est votre sentiment par rapport à ce prix ? Pensez-vous qu’un tel prix pourrait en effet promouvoir en quelque sorte la représentation de l’homosexualité au cinéma ?
Je suis très honoré d’avoir remporté ce prix, et très excité de le recevoir ce soir. Je ressors très satisfait de cette expérience cannoise, car Kaboom est mon second film à avoir participé au festival, mais c’était bien la première fois que nous recevions un tel accueil, et une ovation aussi importante. J’ai vécu cette aventure cannoise un peu comme un rêve.
Je pense qu’il est en effet important de mettre en place une distinction qui pourrait participer à la reconnaissance d’une diversité sexuelle au cinéma.
Comment s’est opéré votre choix pour Thomas Dekker ?
Le casting a été très intense, très long, mais nous avons choisi Thomas Dekker à peu près de la même manière que pour Brady Corbet dans Mysterious Skin (qui incarne le jeune Brian Lackey), c’est à dire en auditionnant plusieurs centaines de personnes, dont la motivation instaurait une importante compétition. J’avais une idée assez précise de ce à quoi devaient ressembler les personnages et Thomas Dekker incarnait précisément le personnage de Smith que je m’étais imaginé.
Avez-vous eu beaucoup de difficultés à obtenir des financements pour la production du film ? Est-ce que cela est lié à son contenu sexuel ?
C’est extrêmement difficile de produire un film comme Kaboom avec le marché actuel, surtout quand aucun nom hollywoodien n’est annoncé, et que le film a un contenu homosexuel. En général, peu de gens s’aventurent à réaliser ce genre de films, et c’est probablement lié à une tendance qui pousse de nombreux réalisateurs à se protéger des retombées de la crise en faisant le même genre de films. Je pense que c’est pour cette même raison que le public s’ennuie rapidement, tout en réclamant paradoxalement des films sans cesse différents.
Vous déclarez que Kaboom devrait « vibrer à son propre rythme ». Pouvez-vous préciser cette affirmation ?
Je souhaiterais que Kaboom soit son propre objet. J’aimerais déjouer certaines attentes, ou qu’on évite à propos de ce film tout rapprochement rapide. J’aimerais qu’on donne à ce film la liberté d’être ce qu’il doit être, et qu’on lui laisse la possibilité d’explorer tous les genres possibles ; déjanté, sexy, policier…
Excepté peut-être pour Mysterious Skin, la plupart de vos films semblent avoir un aspect visuel de « soap-opéra ». Quels liens faites-vous entre la télévision et le cinéma ?
Je crois que la télévision est quelque chose de réellement intéressant, et qu’il y a beaucoup de possibilités à explorer avec ce support. Durant ma carrière j’ai participé de nombreuses fois à des projets de télévision. Kaboom devait d’ailleurs être à l’origine le premier épisode d’une mini-série de télévision. J’aimerais probablement retourner à ce format dans le futur, car je trouve que c’est très excitant de faire évoluer des personnages au cours d’une saison, d’en créer de nouveaux, ou de pouvoir modifier une histoire dès qu’on le souhaite.
Cependant, il faudrait que le projet soit intéressant, controversé, imprévisible. Je n’aimerais pas réaliser un feuilleton télé comme un autre. Il faut que je sois certain de m’amuser, d’avoir du plaisir.
C’est la première fois que vous avez utilisé la caméra RED pour un tournage. Pourquoi avoir choisi un tel matériel ?
J’adore cette caméra, et je pense que Kaboom est probablement le plus beau film sur le plan visuel que j’ai réalisé jusqu’ici. C’est un outil qui m’a permis d’exploiter tous les potentiels de l’image, car il permet de faire ressortir toutes les couleurs d’un lieu, et de mettre véritablement en place un univers. Kaboom doit beaucoup de son succès à cette caméra.
Certains réalisateurs indépendants, à un moment donné de leurs carrières, peuvent opter pour la facilité en travaillant pour de grands studios. Avez-vous déjà songé à rejoindre un courant plus mainstream ?
Je pourrais bien sûr réaliser le film d’un grand studio, mais seulement si c’est un excellent projet. J’ai été déjà rattaché à d’importants studios américains pour certains de mes films, mais je considère tous mes films comme mes propres enfants, sans exception. J’ai différentes idées pour mes prochains films, qui auront peut-être différentes tailles, grands, petits, moyens, mais je ne peux pas le décider à l’avance. C’est quelque chose qui se précisera avec le temps.