De la fin des années 1980 au début du nouveau millénaire, le cinéma d’action américain s’est renouvelé sous l’impulsion de producteurs démiurges (Joel Silver, Jerry Bruckheimer) qui avaient pour point commun d’importer, entre autres influences, les techniques de combat du cinéma hong-kongais. Si elle confirme le changement de cap des Studios Marvel depuis la sortie de Black Panther (donner davantage de visibilité aux minorités), l’apparition triomphale de Tony Leung et Michelle Yeoh, stars chez John Woo et Johnnie To, dans Shang-Chi et la Légende des Dix anneaux s’apparente d’abord à un hommage rendu par Hollywood à une industrie aujourd’hui moribonde, dont subsiste ici l’imagerie commerciale. Des wu xia et des kung fu pian qui firent la renommée de l’archipel dans les années 1970, le dernier-né de Marvel ne reproduit que les moments de bravoure devenus stéréotypes, tel ce premier combat situé dans une forêt de bambou dont le silence est uniquement rompu par l’écoulement « zen » d’une petite fontaine, clin d’œil appuyé à des scènes semblables dans Touch of Zen et Tigre et Dragon. Sous couvert de révolutionner les normes hollywoodiennes en matière de représentation de la communauté asiatique (chose rare dans un blockbuster américain, plusieurs scènes sont tournées en cantonais), le film ne remet pas vraiment en cause le caractère mercantile du personnage de Shang-Chi, uniquement inventé dans les années 1970 pour surfer sur le succès des films de Bruce Lee. L’ouverture pour Hollywood d’un nouveau marché chinois, dont le récent Mulan de Disney a été l’un des symptômes, s’accommode en somme d’une vision étonnamment stéréotypée et idéalisée de l’Empire du Milieu, au croisement de la modernité (Macao y ressemble à la Night City de Cyberpunk 2077) et de la tradition éternelle (le dernier segment du film se déroule dans un village millénaire et protégé des assauts de la modernité).
De cette dualité découle un film qui superpose deux approches de l’action, baston à mains nues et super-pouvoirs dantesques, successivement utilisées par Shang-Chi lors de son retour en Chine après un exil aux États-Unis, afin de venir à bout de son père, le Mandarin. Pompier et pénible lorsqu’il cède aux sirènes de l’épique et du destruction porn, le film s’en sort mieux lors de quelques affrontements singuliers. Raison en est, d’abord, que les gestes des acteurs se font la caisse de résonnance de leurs tourments intimes, certains combats se voyant interrompus par l’irruption d’un souvenir traumatique (la mort de la mère de Shang-Chi, les violents entraînements qu’il a suivis enfant) ou la naissance de sentiments, notamment lors de la première rencontre entre le Mandarin et sa future épouse. Par ailleurs, la vitesse des chorégraphies martiales, aux mouvements fluides et sinueux, permet au réalisateur de capter les déplacements de ses acteurs à l’intérieur de l’espace dans des plans relativement longs (piste hélas abandonnée en cours de route, si bien que la plupart des combats, surdécoupés, sont illisibles). La meilleure scène du film se déroule ainsi dans un bus lancé à vive allure dans les rues en pente de San Francisco et rapidement sectionné en deux, à la manière d’un stage de beat’em all en deux parties. Cette image récurrente du déchirement constitue l’allégorie centrale du film, fable sur un métissage douloureux et sur le retour aux origines. L’éventualité du parricide et d’un œdipe mal placé – le héros doit tuer son père après lui avoir « ravi » sa femme en la laissant mourir – situe cette origin story sur le plan d’un complexe originaire, saupoudrant à qui mieux mieux un peu de psychanalyse sur un mythe contemporain. Sorte de chinoiserie kitsch calquée sur un récit à la Star Wars, le film pâtit de ne jamais prendre au sérieux le caractère tragique de son récit (cf. les traits d’humour ironiques et méta incessants dans la bouche d’Awkwafina et de Ben Kingsley). Si sa légèreté de ton (parfois efficace) ravira les convaincus, elle pointe dans le même temps l’échec du film : ne pas parvenir à apporter, à l’aube de quatrième phase du MCU, un véritable renouvellement à l’intérieur d’un cinéma dont la formule s’avère irrémédiablement industrielle.