Avant la séance de X‑Men : Dark Phoenix défile la bande-annonce d’un autre blockbuster, Men in Black : International. « Men in Black ? » interroge ironiquement l’héroïne jouée par Tessa Thompson. « J’y travaille. » lui promet, un peu embarrassée, sa responsable. Vingt minutes plus tard, le film a commencé et la même scène, l’humour en moins, se rejoue à l’écran. Raven/Mystique (Jennifer Lawrence), piquée au vif devant l’arrogance de Xavier, lui lance avant de claquer la porte de son bureau « Au fait, il faudrait peut-être rebaptiser les X‑Men en X‑Women, puisque ce sont toujours les femmes qui sauvent tout le monde ici ». Si la résonance entre les deux scènes pointe l’opportunisme des grandes franchises hollywoodiennes, dont le positionnement féministe relève surtout d’une logique commerciale (avec Captain Marvel en point d’orgue), elle dit aussi quelque chose de l’échelle à laquelle la franchise X‑Men entreprend sa nouvelle « mutation », sur fond de remise en cause des figures masculines d’autorité (Xavier) et de discours d’empowerment des mutantes. On peut le regretter, d’autant plus si l’on se remémore que X‑Men fut un temps la saga la plus attentive aux soubresauts des corps super-héroïques et à la matérialisation de leurs tourments intérieurs par l’image numérique. C’est d’ailleurs toujours au fond le sujet de Dark Phoenix, dont le récit gravite autour de la transformation de Jane Grey, qui aspire un nuage de pixels orangés pour ensuite voir rejaillir le feu numérique à la surface de sa peau, lorsqu’elle laisse libre cours à sa colère.
Dans les plis se dessine ainsi un embryon de beau film, mais seulement un embryon, dans la manière dont les corps de certaines figures (Jean, mais aussi Diablo le téléporteur et le Fauve) se mêlent imperceptiblement à la matière des choses. Tandis que Jean apparaît comme une centrale nucléaire prête à exploser, Diablo fait de ses déplacements le spectacle d’une division de l’atome (avec la disparition et la réapparition des corps qui s’accompagnent de particules flottantes) et de la réunion des cellules (les corps qui s’enlacent autour du sien). Horizon excitant malheureusement écrasé par les nombreux symptômes d’une franchise à bout de souffle, qui recycle un volet de la saga mis en scène dans le déjà pas fameux L’Affrontement final, et se fait le spectacle d’acteurs désinvestis (Fassbender) ou en roue libre (McAvoy, dont le jeu de sourcils exacerbé ne trouve pas ici l’écho bouffon qui irriguait sa partition dans Glass et Split). Dommage que la série, au fil de ses multiples réinventions, n’ait su se hisser à la hauteur de son potentiel qu’au stade du commencement, celui où les corps adolescents palpitent d’émotion à la vue de ce qu’ils semblent capables d’accomplir. Espérons toutefois que le dernier plan, symboliquement un peu lourd, tiendra ses promesses et que le phœnix vieillissant renaîtra bien de ses cendres.