Film de 1970, suite lointaine de Greetings, Hi, Mom ! condense de manière foutraque et furieusement expérimentale tout ce qui va faire le style ultérieur de Brian de Palma, avec en prime une charge politique qu’on ne retrouvera pas chez lui de manière aussi frontale avant Redacted.
Comme le rappelle Samuel Blumenfeld en préface, co-auteur avec Laurent Vachaud d’un livre sur le réalisateur américain, Brian De Palma semble toujours pour le public français avoir débuté sa carrière avec sa période hitchcockienne. Sauf que De Palma avait déjà dix ans de cinéma derrière lui à la sortie de Sœurs de sang, millésime 1973. La reprise de Greetings en 2003 – jusqu’alors inédit en France – puis son édition DVD en 2008 avaient déjà permis de combler cette décennie manquante et de voir combien De Palma était un cinéaste profondément influencé par les années 1960, dans le choix de ses sujets, comme dans sa manière de filmer, bien plus en tout cas que ses concurrents directs, Coppola ou Scorsese.
La parution de Hi, Mom ! ne fait que renforcer cette impression. Il y a de la Nouvelle Vague chez De Palma. Beaucoup de Godard. Chez l’un comme l’autre, on retrouve cette propension à filmer l’amour comme une tragédie – parenthèse de bonheur destinée à se refermer –, cette même façon de mettre en scène les contestataires comme des gamins candides – jouant à la révolution comme on fait un croche-pied, parce que le grand soir n’arrivera jamais, impossible lui aussi. Il y a du sexe évidemment. Sa libération. Ou plutôt son mirage. On voit la projection d’un porno, qui n’est plus l’apanage de quelques initiés, mais devenu hype. Un sexe d’homme en plein cadre. Une vierge peu effarouchée. Des corps féminins dénudés réels ou peints. Des galipettes hors-cadre. Un gode rose. Son mode d’emploi fourni par un pharmacien zélé. Mais rien qui ne débouche sur autre chose que la reconstitution de la famille bourgeoise, enfants et machine à laver compris.
En fait, De Palma est un cynique. À chaque valeur dite positive, il oppose son contraire. Pour aimer, il faut trahir. Pour inventer, il faut plagier. Pour filmer, il faut mentir. Pour lui, toute image est une déformation de la réalité, incapable par nature à la refléter pleine et entière, et ce qui fait paradoxalement sa valeur. Le cinéma du réel est une gageure. Même le documentaire est une fiction.
Comme le fait remarquer Jean Douchet en bonus, Hi, Mom ! est ainsi construit sur une série de séquences où l’arrière-plan nie le premier. Où la voix-off discorde avec son illustration. Où Robert De Niro a beau se travestir, Actor’s Studio oblige, en policier à matraque, forcément raciste, en héros du Vietnam, grande gueule cassée, il n’est que caricature, imposture, qui dévoile sa vérité dérisoire et factice à la dernière image, en saluant sa mère : « Hi, Mom !»
Il faut être clair. En soi, Hi, Mom ! est loin du chef d’œuvre, trop inconstant, se noyant dans une narration éclatée. Par contre, pour tout cinéphile, et notamment tout étudiant en cinéma qui se respecte, il s’agit d’un outil précieux, à la fois profession de foi vivifiante d’un artiste débutant et clef déterminante pour l’analyse d’un parcours cinématographique d’une rare densité.
Dans cette œuvre de jeunesse, se trouvent en effet tracées deux grandes lignes de force de De Palma réalisateur. Premièrement, toute personne est à la fois voyeur et vue, et le cinéma a porté cette évidence au rang d’art. Deuxièmement, aucun humain ne peut se placer dans le regard de l’Autre, mais le cinéma conjure cette règle inéluctable en en fantasmant la transgression.