Bien moins connu que son chef d’œuvre, Femmes, femmes, L’Étrangleur, le second long-métrage de Paul Vecchiali à avoir été exploité en salles après Les Ruses du diable, bénéficie à son tour d’une sortie DVD. Et on ne peut que louer le travail de l’éditeur, La Vie Est Belle, d’avoir fait ce choix : mélancolique et poétique, ce film est une véritable (re)découverte.
Depuis près de dix ans, Paul Vecchiali rencontre de grosses difficultés pour obtenir le soutien financier nécessaire à la mise en route de ses nouveaux projets cinématographiques. Sorti en 2004, le très fragile mais sympathique À vot’ bon cœur osait même mettre en scène un réalisateur fermement décidé à abattre un à un les membres de la commission du CNC qui lui avaient refusé l’avance sur recettes. Cette « mise à l’écart » est d’autant plus regrettable qu’on ne cesse de (re)découvrir ce réalisateur érudit et audacieux au gré des (trop) rares éditions DVD dont il bénéficie. Quelques mois après Femmes, femmes, probablement son film le plus connu, loué par Pier Paolo Pasolini en personne, c’est au tour de L’Étrangleur, son second long métrage de cinéma (si l’on excepte un premier film perdu), de faire son apparition dans les rayons, agrémenté de quelques délicieux bonus (dont un entretien avec Paul Vecchiali qui revient sur la genèse du film). Et on ne peut que se féliciter de la nouvelle tant cette production révèle une mise en scène à la délicatesse inouïe.
On pourrait rapidement s’étendre en lieux communs et dire du film qu’il est un parfait condensé des obsessions du cinéaste, tant dans sa manière d’appréhender la frontière ténue entre bien et mal que dans son goût prononcé pour traquer le désir à la marge. Mais l’atmosphère si particulière qui se dégage de ce second long-métrage de Vecchiali ne doit pas être réduite à une synthèse car ce qui fait la valeur de chaque film du cinéaste, c’est le plaisir manifeste qu’il prend à nous raconter des histoires – souvent basées sur des faits sordides – en les transcendants grâce à la douceur de son regard. Le pari dans L’Étrangleur était donc de rendre la dimension poétique d’un acte meurtrier, de refuser le sordide et la complaisance qui rassurent toujours le spectateur dans sa représentation du mal. Ici, Émile (interprété par le troublant Jacques Perrin), impressionné par une strangulation à laquelle il a assisté lorsqu’il était enfant, reproduit à l’envi cet acte. Mais pas sur n’importe qui. Le jeune homme choisit en effet ses victimes parmi les femmes esseulées et mélancoliques qu’il accompagne dans leur dernier souffle, tel un ange de la mort. Et là où Paul Vecchiali réussit un pari plutôt inouï, c’est lorsqu’il vide le propos de toute sordidité pour faire de son film un étrange chant funèbre.
Au-delà de la mélancolie qui les rapproche, les victimes du tueur en série ont toutes beaucoup en commun avec ces Femmes, femmes que le réalisateur n’a cessé de célébrer dans ses différents projets : chanteuse de cabaret fatiguée, danseuse étoile vieillissante ou encore actrice oubliée, chacune de ces femmes semble être devenue le fantôme de ses propres rêves de jeunesse, s’évertuant – plus par habitude lasse – à rejouer leur vie comme s’il s’agissait d’une ultime représentation publique. Devenues absentes d’elles-mêmes jusqu’à accepter sans résistance la mort promise, elles souffrent généralement de ce regard extérieur qui fait désormais défaut. En les tuant, Émile déleste ces femmes de ce vide venu les remplir depuis de trop nombreuses années. Il n’y a là aucune autre motivation que de les délivrer de cette insondable tristesse. Ce n’est donc pas pour rien que le réalisateur lui oppose un autre criminel intéressé – voleur de biens une fois les meurtres commis – avec lequel va se nouer une étrange relation, teintée d’ambiguïté sexuelle. Évidemment, en voyant les meurtres perpétrés par l’étrangleur, il est difficile de ne pas penser aux nombreux films d’Alfred Hitchcock (La Corde, L’Inconnu du Nord-Express, Frenzy) où la strangulation était toujours investie d’une forte symbolique sexuelle, traduisant généralement une impuissance qui, hypothèse confortée par le fait que le premier échec criminel survienne avec une prostituée, est peut-être le mal qui ronge Émile.
À l’image des dernières secondes vécues par chacune des victimes, il est avant tout question de regard dans ce film de Paul Vecchiali : regard qui scrute la détresse en l’autre, regard qui se perd ou se fixe à l’approche de la mort. Il est donc plus que pertinent d’avoir prolongé cette problématique avec l’inspecteur chargé de l’enquête, encombrée d’une jeune femme qui, malheureuse en amour, est convaincue qu’elle pourrait servir d’appât idéal pour piéger le meurtrier. Mais Émile se dérobe, s’évapore, se joue de l’enquêteur en l’égarant dans un savoureux jeu de piste où il apparaît, plus vulnérable que jamais, aux yeux de celui qui désespérait de le voir un jour se matérialiser. Entre la réalité et les fantasmes que l’on plaque sur celle-ci par refus d’une médiocrité qui semble continuellement trahir les espoirs de chacun, L’Étrangleur existe quelque part entre amoralité et conscience du conformisme, réussissant le pari totalement fou de transformer la laideur en œuvre d’art.