Le dernier ouvrage du chercheur et vidéaste Guillaume Baychelier, l’un des premiers consacrés au jeu vidéo par les éditions Rouge Profond, s’inscrit dans cette nouvelle génération d’essais vidéoludiques qui appréhendent le médium sous un angle culturel. L’auteur, déjà habitué des « corps monstrueux » dans son travail de thèse achevé en 2016, pose à l’histoire du jeu vidéo d’horreur une question simple : comment ces œuvres, traditionnellement cantonnées aux espaces claustrophobiques, parviennent-elles à continuer de susciter la peur à une époque où les mondes vidéoludiques s’ouvrent de plus en plus ? Autrement dit, quel renouvellement de formule, et partant, d’émotions, le paradigme du monde ouvert impose-t-il à ce genre longtemps confiné ? Le projet de l’auteur est explicitement formaliste : « Ce n’est pas tant le délice mêlé d’effroi provoqué par cette incorporation qui va nous intéresser. Ce qui va retenir notre attention, c’est la forme de ces organismes, leurs anatomies contrariées et les processus qui les animent. ». Proposant une sorte de miroir déformé au projet de Gaston Bachelard qui étudiait, en 1957, l’anatomie des espaces heureux, Guillaume Baychelier déroule une Poétique de l’espace dysphorique : d’abord la spirale, la catabase, le manoir gothique, puis plus tard, ouverture oblige, le village, la ville ou encore la mer.
L’examen n’est pas tout à fait chronologique, plutôt chrono-thématique, guidé par les « promesses de déclosion de l’espace horrifique ». Sans être totalement eschatologique – les ratés de l’ouverture sont abondamment commentés : en particulier le point de pivot que représente le premier Silent Hill et sa brume qui bouche l’horizon d’attente – la démonstration aboutit à une appréhension holistique de l’espace, vers les tentatives plus « écologiques » du jeu vidéo contemporain : Days Gone, Dying Light et The Last of Us en tête, avec leurs mondes plus post-apocalyptiques que réellement horrifiques. Comme souvent dans ce genre d’essais, l’écriture est autant évocatoire qu’argumentative : l’auteur cherche à capter par le langage les subtilités et nuances complexes de ces paysages-état d’âme de manière parfois légèrement précieuse, mais souvent précise. La démonstration est émaillée d’un riche réseau de références cinématographiques, puisqu’il est après tout question de matérialité des images ; on pourrait d’ailleurs lui reprocher une déférence légèrement appuyée vis‑à‑vis de ce parent, certes direct, mais néanmoins un peu encombrant lorsqu’il est question de saisir le jeu vidéo dans sa singularité (voir par exemple les titres de chapitres : « Appartement avec vues », « À bout de souffle », « Fondu au noir », etc.).
La conclusion de l’essai, quant à elle, donne à penser : le lieu d’horreur y est exalté comme parangon du « langage » spatial vidéoludique, venant assouvir les fantasmes d’une architecture de la contrainte et de l’obstacle qui, certes, a longtemps caractérisé la spatialité du jeu vidéo. On pourrait reprocher à l’auteur de céder à la tentation, bien compréhensible, de faire de son objet la manifestation idéale de son médium. Ce goût pour la contrainte spatiale a sans doute été, historiquement, plus tributaire d’une nécessité faisant loi que d’une essence supposée du jeu vidéo : preuve en est, suivant l’argumentation de l’auteur lui-même, la tendance (en réalité très ancienne) à l’ouverture à laquelle le survival horror a bon an mal an été contraint de se plier pour survivre à son tour. Quoiqu’il en soit, dans sa forme, par ailleurs généreusement illustrée, comme dans son propos, l’essai de Guillaume Baychelier ouvre des perspectives très riches en matière d’écriture essayistique sur le jeu vidéo – alternative essentielle aux productions sous contrainte de la presse spécialisée et aux travaux nécessairement spécialistes de la recherche académique. Il offre un bel exemple d’histoire des formes vidéoludiques à tendance phénoménologique, propre à nourrir la réflexion de celles et ceux qui goûtent le plaisir délicat d’un effroi bien ménagé.