À Critikat, nous nous targuons d’être des critiques cinéphiles, des spectateurs avertis ayant une haute idée du cinéma en tant qu’art. Est-ce pour autant que nous n’avons pas nos petits plaisirs coupables, ces films que nous aimons malgré tout, et surtout malgré notre bonne conscience − pour laquelle nous nous devons de préférer a priori un film d’Orson Welles à un film de Luc Besson ? Pour montrer qu’un critique de cinéma est aussi faillible, les rédacteurs de Critikat ont accepté de dévoiler une fois pour toutes leurs amours adultères…
Devant quel(s) film(s) ressentez-vous un plaisir coupable ?
Vincent Avenel
Si je réponds un film passablement polémique (genre, au hasard, Princess Bride ou Ladyhawke, qui ont leurs hordes de fans), je vais me recevoir des tonnes de mails incendiaires, sans parler des réactions au sein de la rédaction : on a déclenché des guerres de religion pour moins que ça.
Partons donc dans le définitivement mauvais (même si il y a des fondus, comme certains de nos confrères de Mad Movies, qui défendent sincèrement le film) : le film le plus irrattrapable que j’ai eu l’occasion de voir et qui pourtant me fait pousser des râles d’aise, c’est Bad Taste, le premier Peter Jackson, tourné à une époque où personne n’aurait parié un euro suisse sur le fait qu’il serait un jour aux commandes du Seigneur des anneaux.
Un film tourné en 4 ans, lors des week-ends de l’équipe, dont le scénario (enfin, le truc qui tend à raconter l’histoire, disons) est improvisé semaine après semaine, avec des effets visuels incroyablement pas bons, mais d’une bonne santé gore réjouissante, une mise en scène qui est sans doute la plus dignes de celles qui firent suite à l’Evil Dead de Sam Raimi, un humour absurde et qui ne recule devant rien, et le tout sur un budget inférieur à celui de la pause café d’un jour de tournage de Titanic, récolté au fil du temps par le réalisateur − à en jurer que Burton aura calqué son Ed Wood autant sur le réalisateur de Plan 9 que sur Peter Jackson, en termes de passion cinéphiliques.
Une belle preuve que l’école du bis c’est aussi celle d’une véritable cinéphilie…
Ariane Beauvillard
Après moult réflexions, je ne suis pas sûre de trouver de la culpabilité dans les plaisirs que me procurent parfois certains films dits mineurs voire mauvais… je ne crois pas vraiment à la différence entre le plaisir du spectateur et celui du critique ; les films qui me touchent ou m’impressionnent ne me sont pas destinés personnellement ou socialement, ils parviennent à un instant précis, à plusieurs instants précis, à leurs fins. L’idée de la honte, en tous les cas, m’est étrangère dans le processus d’appréciation des films. C’est donc sans honte, sans culpabilité, que j’ai dressé une petite liste des films qui m’ont parus, à un instant précis, à plusieurs instants précis, savoureux pour des raisons parfois incompréhensibles…
— La Boum
— Le Jour d’après
— La Cité de la peur
— les comédies sentimentales reconnues comme des films « à la con » : Love Actually, Bridget Jones, Notting Hill… − à noter que je ne rangerais pas Quand Harry rencontre Sally, et Quatre mariages et un enterrement dans cette catégorie
— L’Attaque de la moussaka géante − un must.
De quoi occuper ses dimanches en somme…
Marie Bigorie
XANADU ! (« a place where dreams come true ouh ouh ouh.… »). La PIRE comédie musicale du monde !! avec Olivia Newton-John en maillot de bain doré qui chante comme un pied … ça vaut le petit détour par YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=7m1UWSD-FaA. Et la pluie d’étoiles au début est top quand même ! Mais le pire est que je ne ressens même pas de plaisir coupable… Aucune culpabilité !
Stéphane Caillet
Je prends un véritable plaisir coupable devant des films B, voire Z, sympathiquement fauchés et ratés, qui tentent d’imiter les blockbusters américains à succès. Ils étaient très nombreux dans les années 1980 et 1990. Je citerais volontiers les films d’Albert Pyun, notamment Cyborg, un véritable ovni post-apocalyptique kitsch, avec en prime JCVD de Bruxelles dans l’un de ses premiers grands rôles. Une perle.
Sébastien Chapuys
Je tairai mon goût pervers pour quelques perles du cinéma Z recommandés par l’indispensable Nanarland. Même si certains m’ont laissé quelques souvenirs émus (Turkish Star Wars, par exemple), cela reste des films qui ne se savourent qu’au second degré et entre amis, une bière à la main et un rire gras aux lèvres.
Ce qui fait réellement tache dans ma DVDthèque austère, c’est le boîtier flamboyant de Moulin Rouge ! de Baz Luhrmann, qui tranche résolument au milieu des Kazan, des Kieslowski et des Watkins. Oui, je confesse un penchant coupable pour cette sucrerie kitsch sous influence bollywoodienne, malgré son montage épileptique et son Paris de pacotille. Peut-être parce que Nicole Kidman, pas encore abîmée par les injections de botox, irradie le film d’un charme canaille. Ou parce que le méchant est vraiment très, très méchant, et qu’on ne peut que compatir au triste sort de la courtisane phtisique et de son fade prétendant. Peut-être aussi parce que je ne peux m’empêcher de rire devant les bruitages idiots et les mimiques toonesques de la scène où la troupe improvise devant le « Duke » son prochain succès théâtral. Peut-être enfin parce qu’il fallait oser faire dire à Ewan McGregor : « L’amour, c’est comme l’oxygène, l’amour est enfant de Bohème, all you need is love »…
Ah, et puis, c’est sans déplaisir que je regarde La Soupe aux choux de Jean Girault, avec Jean Carmet et Louis de Funès en paysans pétomanes. Mais ne l’ébruitez pas, s’il vous plaît, je tiens à mon aura de cinéphile sérieux.
Oscar Duboy
Très honnêtement et sans vouloir me cacher, je n’ai pas un film en particulier car en réalité, j’adore les films à plaisir coupable ! Ils m’ont permis de reconnaître ceux qui en revanche étaient de bons films et m’assurent aujourd’hui de bons moments de détente. Heureusement le cinéma n’est pas fait que de films beaux ou sérieux : une daube n’a jamais tué personne !
Sarah Elkaïm
Aucun plaisir coupable devant les comédies sentimentales type Bridget Jones : on sait ce qu’on regarde, pas de tromperie sur la marchandise, c’est bien fait, ça fait toujours son petit effet, surtout en soirée filles (ouh!! j’ai honte…)
À part ça, j’avoue (et j’assume!…) : j’ai un gros penchant pour les Leconte de l’époque du Splendid ! Viens chez moi j’habite chez une copine ou Ma femme s’appelle reviens… La touche de Michel Blanc, les coupes et la gouaille de Balasko ou la dégaine d’Anémone, je peux lâcher la zappette ! Le côté complètement kitsch des années 1980, l’humour un peu potache, très français, tous les détails de l’époque comme les vieux jingle radio, la mode… c’est à la fois hier et un autre monde, totalement décomplexé. Les Bronzés, Le Père Noël est une ordure… bien sûr. Dans le même esprit : Les Frères Pétard (Hervé Palud, 1986), avec d’inoubliables Gérard Lanvin et Jacques Villeret en dealers !
Laurine Estrade
Ce n’est pas un film… mais une série dont l’indolence va à l’encontre des canons télévisuels. C’est pour cela que j’aime Inspecteur Derrick. Et aussi pour ses scénarios sordides, sa musique stridente, et ses acteurs à la peau luisante.
Romain Génissel
Wayne’s World de Penelope Spheeris
La trilogie Retour vers le Futur de Robert Zemeckis.
Inutile de préciser que ce plaisir est non feint et aucunement coupable puisqu’il s’agit à mon sens d’une trilogie très ingénieuse et assez parfaite dans son genre.
Dès lors un film comme Wayne’s World de Penelope Spheeris serait plus approprié en termes de culpabilité.
Même si j’ai le sentiment qu’un cinéphile qui serait coupable des films qu’il visionne ne peut vraiment l’être.
Voir Neuilly sa mère et par exemple L’Avventura restent deux expériences très différentes mais toujours intéressantes si l’on sait se placer et les penser comme il se doit.
Voilà pourquoi on peut considérer que la politique des auteurs est désormais obsolète et que les vieux tenants de la critique française ne font plus vraiment autorité.
Clément Graminiès
J’avoue que je ressens rarement un plaisir coupable, tout au plus une indulgence totalement consciente pour certains films. Je n’ai jamais voulu revoir les films de mon enfance (Le Grand Chemin, L’Été meurtrier, Diabolo menthe) ou de ma jeune adolescence (Clueless, My Girl) pour ne pas en gâcher le souvenir car je suis aujourd’hui difficilement capable d’apprécier un film sans en évaluer ses qualités cinématographiques. Alors, s’il fallait m’avouer un plaisir coupable, ce serait In Bed with Madonna d’Alek Keshishian. Ce « documentaire » sur la star réalisé pendant sa tournée « Blonde Ambition Tour » n’a qu’un intérêt très limité d’un point de vue cinématographique et n’est pas d’une complexité déconcertante sur le rapport entre Madonna et son image. Mais pour le grand fan que j’étais, c’est surtout l’occasion de la revoir à une époque où elle était réellement provocante, où elle balançait toutes les conventions par la fenêtre tout en assumant ses propres contradictions. Comment ne pas rester bouche bée devant une interprétation jazzy de Like a Virgin se concluant sur un acte de masturbation totalement hystérique ?
Arnaud Hée
S’il est responsable de son regard, difficile toutefois de rendre un spectateur coupable, déjà que certains cinéastes s’en chargent, n’est-ce pas Monsieur Haneke ? Ceci dit, considérant qu’être ému est un plaisir de spectateur, il m’est arrivé de me sentir coupable, après-coup, d’avoir répondu à l’injonction d’un cinéaste. Le cas clinique le plus précis est que j’avais été complètement terrassé, à mon corps défendant et de manière très incontrôlable, par la deuxième partie pourtant très putassière de Million Dollar Baby de Clint Eastwood. C’est un petit traumatisme à propos duquel je reste encore interloqué, mais je ne suis pas allé me confesser pour autant. Après, ayant été enfant et adolescent dans les années 1980, il se trouvé que j’ai été bouleversé, suis tombé en admiration devant des objets pour le moins douteux ; mais dans ce cas mon plaisir d’alors plaide la clémence ! Aujourd’hui, si je m’étais tapé sur les cuisses durant toute la projection de Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon ou de La Guerre des Miss de Patrice Leconte, inutile de dire que j’aurais pris illico presto le chemin du premier endroit de culte pour une séance de flagellation des plus sévères. Sans doute pour prendre mes marques dans la cinéphilie et me constituer un « goût », j’ai un temps balayé d’un revers de main le cinéma de divertissement, dans lequel j’aime bien me faufiler maintenant de temps à autre, avec la conscience tout à fait tranquille, ce qui n’aurait pas toujours été le cas.
Anne-Violaine Houcke
Les Travaux d’Hercule (Le Fatiche di Ercole, Pietro Francisci, 1957)
Miss Italie 1947 (Gianna Maria Canale) et Mister America 1947 (Steve Reeves, aussi Mister World, et Universe. N’est pas Hercule qui veut…), ça claque, non ? Plaisir coupable d’une universitaire en Lettres classiques devant le jonglage mythologique (euh, Steve Reeves, c’est Hercule ou Jason?), légère rougeur aux joues de l’universitaire en cinéma affirmant que Steve Reeves a beau être un très mauvais acteur (indéniable… Il a joué pour Ed Wood, soit dit en passant), il est parfait dans son rôle… C’est ici la cinéphile qui répond, car les cinéphiles ont tous les droits, non ? Surtout de défendre le cinéma-bis, ses décors en carton-pâte « remployés » (mmm, j’ai pas déjà vu ça dans Ulysse?), son esthétique kitsch, son génial « irrespect » de la culture classique. Dès la première scène, je me sens en déséquilibre sur une crête entre désinvolture et sérieux, menée par le bout du nez par un réalisateur qui me fait des clins d’œil : complice, donc, mais un peu perplexe, aussi. Et puis, Mario Bava à la photographie, c’est déjà un pur plaisir, non ?
Et après tout, dans culturisme, il y a « culture », non ?
Mathieu Macheret
The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman. Une comédie musicale décadente qui n’a, cinématographiquement parlant, rien de remarquable mais que j’aime pour de toutes autres raisons. 1) Ses chansons. 2) Sa joyeuse invitation à la débauche et sa pudibonde héroïne sadisée (Janet/Justine). 3) Sa parodie amoureuse de l’objet parodié (la série B horrifique, le cinéma bis). Alors, certes, la parodie est toujours inférieure à ce qu’elle parodie… Mais les séances « participatives » — avec jets d’eau et de riz dans la salle — du Studio Galande restent un grand souvenir d’enfance.
Carole Milleliri
Le Diable s’habille en Prada est devenu dans ma dvdthèque le film des jours de déprime ou des jours de grippe (version classique s’entend). C’est léger, ça sent bon la guimauve et l’on sait à chaque instant ce qu’il va se passer. Diablement reposant quand tout semble ficher le camp, non ? Si je revois avec un plaisir coupable cette comédie d’une niaiserie certaine, c’est avant tout pour ses numéros d’acteurs délectables. Meryl Streep charge le personnage de la rédactrice en chef, Miranda, d’un charisme effrayant et Emily Bunt fait preuve d’un pouvoir comique dévastateur dans le rôle d’une première assistante lèche-talons et méprisante. La très lisse Anne Hataway fait un magnifique porte-manteau : c’est un plaisir chaque fois renouvelé de la voir défiler pendant une heure cinquante dans des tenues de créateurs à tomber. Il est parfois plaisant d’assumer un peu son droit à la superficialité !
Camille Pollas
Aucun ! Mon bon goût est absolu !
Fabien Reyre
Je dois bien l’avouer : le film que je regarde volontiers une fois par an, presque en cachette, c’est La Boum (et, tant qu’on y est, avouons-le aussi : j’adore sa suite). Probablement parce que, lorsque j’étais petit, c’était l’un des rares films que nous avions en K7 vidéo (avec Flashdance et La Chèvre, pour lesquels je dois bien confesser une tendresse pas très raisonnable), que je regardais en boucle. J’étais amoureux fou de Sophie Marceau, la fille la plus cool de la terre. Je trouvais que Brigitte Fossey était super classe, puisque son personnage gagne sa vie en dessinant des BD. Je rêvais d’avoir une grand-mère comme Denise Grey. Et, depuis mon village du sud, les préoccupations adolescentes de petits parisiens scolarisés dans le Ve arrondissement représentaient pour moi le sommet de l’exotisme. Et puis, il y avait LA chanson : Dreams are my reality, qui a fait mieux depuis pour s’entraîner à rouler des pelles ? Les années ont passé, le film a pris un sacré coup de vieux. Dans l’ensemble, il est relativement indéfendable (bien que certains dialogues conservent une certaine fraîcheur). Mais je m’en fous : c’est ma madeleine à moi, indéboulonnable, inégalable, mon plaisir coupable.
Benoît Smith
- Highlander de Russell Mulcahy : mais oui, ce clip de Queen de luxe avec du Lambert dedans, qui a certes pris un bon gros coup de vieux, mais que voulez-vous, l’épique sur fond de rock avec du visuel garanti 80s, on ne sait trop si c’est la naïveté ou la puissance du mélange qui emporte l’indulgence, la mienne en tout cas…
- Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson : plaisir totalement coupable, conscient de tous les boulets que se traîne la trilogie-mammouth sur-oscarisée et surestimée (balourdise de Jackson dans l’épique, incapacité à rendre les dialogues captivants, relents douteux dans le traitement de certains personnages − pauvre Nain − et j’en passe). Mais, mais, mais, je reste pour ma part très sensible à l’effort énorme pour recréer l’atmosphère de la fantastique Terre du Milieu, à une certaine modestie de l’artisanat marchant étrangement de concert avec le pompiérisme de rigueur, à quelques idées sympathiques ici et là, bref à une somme de choses pour laquelle cette adaptation d’une œuvre littéraire formidable mérite à mon sens d’exister, malgré les opportunités manquées…
- enfin, un petit mot sur Les Aventures de Rabbi Jacob de Gérard Oury, loin d’être une grande comédie, mais c’est sans doute son culot dans le traitement des conflits du Moyen-Orient par l’humour qui me font sourire devant des gags quand même pas terribles.
Ophélie Wiel
Au risque de me décrédibiliser bien plus que mes camarades et collègues, j’avoue sans remords mon plaisir le plus coupable, mon film le plus honteux : Angélique, de Bernard Borderie, le Sissi de l’été télévisuel, son faux érotisme kitsch et ses dialogues à faire hurler de rire un condamné à mort. Je sais ce qui, ado, a pu me plaire dans ce film (ah, le visage balafré du « laid » Robert Hossein, « Joffreeeeeeeyyy », brûlé vif en place de Grève…), je comprends moins quel plaisir j’y trouve encore aujourd’hui. Il n’y a sans doute pas d’explication valable ou cinéphilique, simplement la joie d’y retrouver une amie et des souvenirs d’enfance, des dialogues que je connais sur le bout des doigts et une galerie d’acteurs pas si mauvais que ça tout de même : Michèle Mercier, trop vite stigmatisée en sous-Bardot ; Jean Rochefort en « ripou » de Louis XIV ; Jean-Louis Trintignant en poète crotté à la coiffure invraisemblable ; Sami Frey en ambassadeur persan qui fait fouetter ses servantes nues… Tout est niais dans Angélique (surtout dans les deux derniers épisodes, particulièrement nuls), mais cette niaiserie vieillotte a quelque chose du pain perdu : à force de les mêler à des ingrédients plus savoureux, on redonne du goût aux choses rassies.