Lisieux, 1888. Thérèse Martin, âgée de 15 ans, veut entrer au Carmel. Elle se heurte aux réticences de la mère supérieure qui la juge trop jeune ainsi qu’au refus du clergé local, curé et évêque. Obstinée, Thérèse se rend à Rome et obtient une dérogation du Pape. Au couvent, durant neuf ans, elle met toute son énergie à vivre un amour du Christ qui contribuerait au Salut des autres. Mais elle fait aussi l’apprentissage de la solitude et de la domination de soi. Ajoutée au froid, aux privations et au manque de soins, la tuberculose provoque sa mort en 1897.
Thérèse de Lisieux selon Alain Cavalier
Il existe plusieurs représentations cinématographiques de Thérèse Martin, en religion Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face. Parmi bien des films, Julien Duvivier a réalisé, dès 1929, La Vie miraculeuse de Thérèse Martin. Il faut aussi remarquer Procès au Vatican de Paul de Saint-André (1952), Le Vrai Visage de Thérèse de Lisieux de Philippe Agostini (documentaire NB, 1964) et, plus récemment, Histoire printanière d’une petite fleur blanche des jésuites cinéastes et psychanalystes Michel Farin et Denis Vasse (60mn) ou The True Story of Saint Therese of Lisieux (2005). Entre tous, Thérèse par Alain Cavalier est sans conteste le plus original. Car ce n’est pas l’histoire d’une sainte mais le portrait d’une adolescente amoureuse de Jésus qu’a voulu donner à voir ce réalisateur à l’œuvre originale. Après une formation à l’IDHEC, Alain Cavalier, né en 1931, a d’abord accompagné les débuts cinématographiques de son camarade Louis Malle, dont il a été l’assistant sur Ascenseur pour l’échafaud, en 1957, et Les Amants, en 1959. Ses premières réalisations ont porté sur la guerre d’Algérie, qu’il a été l’un des rares cinéastes français à aborder de front avec Le Combat dans l’île (1961), avec Jean-Louis Trintignant et Romy Schneider, et surtout L’Insoumis (1964), avec Alain Delon et Lea Massari. Il a obtenu ensuite ses premiers succès avec des réalisations plus traditionnelles, comme La Chamade, adaptation d’un roman de Françoise Sagan, avec Michel Piccoli et Catherine Deneuve, en 1968. À partir de 1976, il a radicalisé son travail en le recentrant sur des comédiens peu connus. Il tend alors à épurer sa mise en scène, comme dans Martin et Léa en 1979.
Mais dans cette évolution de Cavalier vers une sorte d’épure du cinéma, Thérèse, présenté en 1986, marque l’étape capitale. Alain Cavalier avait éclairé quatre ans plus tôt la « méthode » de cette œuvre longuement mûrie dans À propos de Thérèse, un film réalisé pour la télévision dans la collection « Cinéma-Cinémas ». « Je fais un film sur des personnes dont le silence est la règle. » Il annonce un extrême dépouillement. Tout au long de Thérèse, le décor n’est constitué que d’un mur gris uniforme devant lequel quelques meubles permettent de situer l’action des actrices et de rares acteurs. Le son est enregistré en direct ; les images ne sont accompagnées d’aucune musique.
L’ensemble, avec un dialogue très écrit et une série de plans liés les uns aux autres par des « fondus au noir », suggère ainsi un univers de sentiments et d’émotions qui donne à Thérèse une force peu commune. Il ne s’agit pas d’une reconstitution historique réaliste, mais, comme pour Maurice Pialat et son Van Gogh en 1991, d’une sorte de « fiction biographique » (Didier Coureau), un entre-deux entre « fiction » et « documentaire ». Alain Cavalier s’est expliqué en avançant son refus de la fiction. « La fiction m’ennuie. J’ai besoin de m’intéresser à quelqu’un, d’enquêter. » Nourri de sa propre expérience, il a orienté cette recherche vers Thérèse de Lisieux. « Je crois que pour retrouver la source première, il faut remonter à l’époque où j’étais adolescent. J’ai été élevé dans un pensionnat religieux. Ce genre d’éducation laisse des sensations très fortes. On vous dresse, on vous inculque tout un système idéologique avec lequel vous finissez par être en accord parfait. Vous avez des bouffées de mysticisme. Par la suite, vous faites des études, vous rencontrez des femmes, et tout cela disparaît, prêt à resurgir, comme une rivière qui s’engouffre sous la terre. Sans doute étais-je arrivé à un moment de ma vie où il me fallait aller pêcher cette émotion adolescente. Je suis alors tombé sur les textes de sainte Thérèse dans une édition critique qui racontait sa vie, sa maladie. J’ai ressenti une grande émotion devant l’histoire de cette très jeune fille qui est entrée au couvent pour trouver quelque chose ; qui l’a trouvé, mais qui a trouvé aussi, du même coup, sa mort. »
De fait, la biographie de Thérèse Martin par Alain Cavalier emprunte certains traits du documentaire. Mais en affirmant aussi son point de vue, ce cinéaste-auteur contemporain des cinéastes de la Nouvelle Vague livre beaucoup plus qu’un documentaire ou une fiction traversée par le documentaire. Son film est une véritable œuvre de création, ou de recréation, du réel de la carmélite Thérèse Martin, personnalité mystique très originale. Pour traiter de ce sujet, Alain Cavalier a recours à des partis-pris esthétiques et à un « matériau » particulier qui fondent sa biographie cinématographique sur l’art du portrait pictural. Les plans liés par des « fondus au noir » s’apparentent, avec la continuelle frontalité des nombreux gros plans de tous les visages d’acteurs et le détail de certains objets, davantage à la peinture classique qu’au théâtre. Respectueux du silence qui enveloppe la vie monacale, ils sont en effet comme autant de tableaux des « vanités » dans lesquelles la représentation n’épuise jamais l’interprétation.
Comment relater à la fois le quotidien des neuf années de Thérèse Martin au Carmel de Lisieux et, surtout, l’essence de son existence avant sa mort, à 24 ans, en 1897 ? L’ambition cinématographique d’Alain Cavalier est aussi simple que démesurée. « Sortir de la nuit d’avant le cinéma, apprivoiser l’image qui va le caractériser de bout en bout, tant cette image est neuve, inédite, virginale. » L’image de Thérèse Martin, ce sera le film de sa vie, c’est-à-dire un film sur la vie qui l’habitait. « Thérèse est né d’une émotion, du sentiment que je ressentais vis-à-vis d’une jeune fille qui est morte très tôt. Toute discussion théologique m’ennuie. Je pense simplement qu’il y a un principe de vie qui court, et je m’intéresse aux gens qui se réunissent pour le maintenir plutôt qu’à ceux qui veulent le détruire. »
Avec une rare maîtrise de l’ellipse, Alain Cavalier donne à voir en quatre cent cinquante-deux plans la vie de Thérèse d’abord en famille et au Carmel. Il était d’abord parti à la recherche d’un couvent. Il aura eu finalement recours au seul studio. Il n’est de toute façon pas un cinéaste du decorum et de l’artifice, mais le révélateur d’une humanité vraie où love l’affection et peut se chercher l’Amour de Dieu. C’est pour donner plus de poids à l’humanité de son récit que cet adversaire de la fiction a ajouté le personnage fictif de Lucie aux personnages véritables de la Mère supérieure et des sœurs de Thérèse parmi les religieuses du couvent. Consœur et amie (amoureuse aussi ?), Lucie incarne plus encore la grande humanité des membres de la communauté. Alors que l’évocation du religieux est toujours un pari risqué lorsqu’il s’agit du spirituel, Alain Cavalier accentue d’autant plus la force de l’incarnation que c’est dans la foule des sentiments qui anime Thérèse Martin que peuvent le mieux se distinguer ses états d’âme de mystique.
Le spectateur peut ainsi voir Thérèse en famille, avec son père et sa sœur. Le père manifeste à ses filles, mais plus encore à sa petite dernière, affection et tendresse. Comme lorsqu’il chauffe le lit de ses deux filles et leur ménager un univers douillet. Thérèse est consciente de cela et de la peine qu’elle fait en annonçant son désir d’entrer au couvent. Mais elle est mue par une force plus grande. Elle tient à une messe avec une intention pour le criminel qui vient d’être condamné à mort. Thérèse en prière passe la main sur sa nuque. « Je le sauverai. » Elle s’est privée pour lui et cherche dans le journal de son père, endormi, l’information de l’exécution du condamné. Ce dernier a embrassé le crucifix. La foi de Thérèse est tout entière dans cette spontanéité et cette volonté obstinée. Elle l’écrit avec son sang. « Jésus, merci. » Elle est prête à se donner et sans doute sa décision d’entrer au Carmel est-elle alors prise. Malgré sa peine, son père la soutient. Il a déjà deux filles au Carmel. Mais l’amour consent à tout. La Mère supérieure conseille la patience. « Ce sont les hommes qui décident. » Une mystique est toujours suspecte aux yeux de l’Institution ecclésiastique que domine la gente masculine. Il faut donc toute l’opiniâtreté de Thérèse pour affronter un univers d’hommes prudents, voire réservés sur sa vocation. Il lui faut faire montre de son enthousiasme au Pape pour voir son souhait entendu.
La vie d’une communauté religieuse n’est pas toujours exaltante. Il s’agit d’affronter le labeur quotidien, comme à la lingerie et à la cuisine, ou la jalousie et les mesquineries ; le pouvoir aussi. C’est aussi la longueur du temps et l’austérité des repas ou du froid de l’hiver. Dans cet univers de femmes, la fête de Noël est l’occasion d’une grande joie dans laquelle la féminité reparaît sous le jour d’une maternité symbolique. Alain Cavalier filme avec délicatesse les religieuses qui embrassent avec tendresse un nouveau-né sculpté dans le bois. L’évocation de la vie de Thérèse est pleine de telles scènes où se trouvent autant de gestes qui peuvent receler, pour le croyant, un sens profond. Le vocabulaire amoureux de Thérèse peut paraître ambigu, comme peut être ambivalente sa souffrance. « C’est hideux la souffrance », dit en gros plan le médecin qui ne comprend pas. « Une carmélite est sur la Terre pour souffrir comme son époux », lui répond la prieure en voix off. Alain Cavalier a instillé quelques lectures d’un poème qui insiste sur l’ambivalence de l’amour proclamé par les carmélites. « L’expressivité poétique est depuis l’origine une voie privilégiée dans l’expression du vécu mystique », rappelle Jacques Maître dans son ouvrage Mystique et féminité. Ce qui est vrai pour Jean de la Croix l’est peut-être plus encore pour la mystique féminine. Jacques Maître cite Paul Valéry relevant le « genre allégorique » du Cantique de Salomon. Les carmélites lisent plusieurs extraits de ce poème, à la fois dialogue amoureux et révélation de l’Alliance entre Dieu et son peuple:
— C’est d’abord : « Passant près de moi, il a dit que le temps était venu pour moi d’être aimée. »
— Une autre fois, c’est la prieure : « Il m’a fait entrer dans le cellier où il met son vin. Il a mis dans moi son amitié. »
— À son tour, Marie ajoute : « Je dors, mais mon cœur veille. J’entends mon bien-aimé qui frappe. » Thérèse elle-même récite : « J’ai ouvert la porte à mon bien-aimé. »
— En prière, quoique torturée par le doute, elle poursuit : « Après cette vie, je ne vois plus rien… C’est comme un mur jusqu’aux étoiles… Peut-être n’est-il plus content de moi ?… Je vous en prie, si vous rencontrer mon bien-aimé, dites-lui que je suis malade d’amour. »
Tout le film d’Alain Cavalier sur Thérèse Martin s’inscrit dans ses éclats d’humanité qui renvoient à une autre réalité vers laquelle, irrésistiblement, elle veut se diriger. Ajoutée au froid, aux privations et au manque de soins, la tuberculose provoque sa mort en 1897. La voix off de sa sœur raconte la suite. L’édition du cahier rédigé par Thérèse et la canonisation en 1925. Alain Cavalier arrête là son film.
Thérèse : une sainte révélée au cinéma ?
Réaliser un film sur la vie d’une sainte, c’est aborder la question de la sainteté au cinéma. L’enjeu est de taille, l’entreprise difficile. Pourquoi Alain Cavalier a‑t-il le mieux approché cette dimension invisible ? Son choix est aussi simple que radical. Il a choisi la liberté. La sienne d’abord. Cinéaste original, il ne s’est pas laissé enfermer dans une certaine représentation de Thérèse, la plus statufiée des saintes, après la Vierge Marie, dans toutes les églises du monde. Dans Thérèse, c’est bien de Thérèse Martin selon Alain Cavalier qu’il s’agit. Mais si ce dernier parvient à offrir tant de proximité avec la « petite Thérèse » de Lisieux, c’est grâce à la liberté qu’il laisse au spectateur. « Parce qu’il n’explique rien, le film s’adresse à nos sens avant de parler à notre intelligence », constate Jean Collet.
Derrière la jeune fille devenue carmélite, certains pourront ainsi voir et méditer son parcours de sainteté. Alain Cavalier n’a pas convoqué le spectateur à un spectacle. Il offre seulement à celui qui veut voir une place privilégiée. Au contraire de la plupart des saintes de son époque, Thérèse n’a été entourée d’aucune manifestation spectaculaire. C’est d’ailleurs en cela que Thérèse incarne une « modernité dans la mystique », ainsi que l’explique Jacques Maître. « Les “phénomènes extraordinaires” lui sont restés étrangers, alors qu’ils fascinaient à l’époque des spécialistes de la théologie mystique comme Auguste Poulain, et elle donnait à Dieu la figure d’une toute-puissance maternelle absolument bienveillante, à l’opposé du Justicier qui régnait à son époque. » Fidèle à la vie de Thérèse, Alain Cavalier montre ainsi, en une succession de tableaux, tout ce que l’on sait de la vie d’une jeune fille qui a choisi la réclusion volontaire du Carmel.
Grâce à lui, les spectateurs sont les témoins des scènes de la vie régulière de Thérèse Martin dans un quotidien strictement ordonné. Mais loin de connaître l’ennui que peut causer un rythme morne, sa vie témoigne au contraire d’une extraordinaire vitalité dans la recherche du grand Amour que sert une extrême humilité. En 1982, Alain Cavalier expliquait : « Je crois que je ne filme bien que ce que j’ai réussi à aimer. » Il dessinait alors sur une feuille blanche un plan du film à venir. Thérèse est étendue sur son lit à l’infirmerie, sa sœur assise près d’elle. « Et Thérèse sort son pied de dessous les draps, son pied nu, et caresse la joue de sa sœur. Et elle lui dit : “Je ne vous ai jamais donné une aussi grande preuve d’amour.” Elle ne manquait pas d’humour… », commente-t-il alors. Insérée parmi les derniers plans du film, la scène est très émouvante en ce qu’elle marque l’accomplissement de la vie de Thérèse.
Thérèse : « Je voudrais vous donner une preuve d’amour. »
Thérèse (elle caresse le visage de sa sœur avec son pied) : « Celle-là, personne ne vous l’a jamais donnée. »
Pauline (souriant) : « Vous nous manquerez. »
Thérèse : « Je vous enverrai des fleurs. »
Quel est donc cet Amour dont Thérèse a voulu donner la preuve et qu’elle entend donner même au-delà de sa mort ? Alain Cavalier n’a pas voulu gommer l’épreuve du doute vécue par Thérèse. En 1982, il lisait ses derniers mots recueillis au moment de sa mort. « Ô, c’est bien la souffrance pure, parce qu’il n’y a pas de consolation. Non, pas une ! Ô, mon Dieu, je l’aime pourtant le Bon Dieu. Ô, ma bonne sainte Vierge, venez à mon secours, si c’est cela, l’agonie, qu’est-ce que c’est que la mort ? Ô, ma pauvre petite mère, je vous assure que le vase est plein jusqu’au bord. Oui, mon Dieu, tout ce que vous voudrez, mais ayez pitié de moi… Mes petites sœurs, mes petites sœurs, mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de moi. Je ne peux plus, je ne peux plus, et pourtant, il faut que j’endure. Je suis réduite. Non, je n’aurais jamais cru qu’on pouvait tant souffrir. Jamais, jamais… » Lorsqu’il lisait ces mots, Alain Cavalier n’avait pas encore choisi Catherine Mouchet pour tenir le rôle de Thérèse. En 1986, c’est chose faite et une scène de son film évoque la souffrance à laquelle Thérèse entend donner tout son sens, malgré l’épreuve du doute, en l’offrant dans une solidarité fraternelle.
Thérèse (pliée de douleur) : « J’ai mal ! »
Céline : « Priez ! »
Thérèse (petite voix stridente) : « Je prie. »
Céline : « Qu’est que vous lui dites ? »
Thérèse : « Rien. »
Céline : « Et lui ? »
Thérèse : « Rien. »
Céline : « Priez fort, il est sourd. »
Thérèse : « Quand je respire, je dis : je souffre, vous répondez : tant mieux. »
Céline : « Non ! »
Thérèse : « Je souffre. »
Céline (avec un élan vers elle) : « Non. »
Thérèse : « Je souffre. »
Céline : « Non. »
Thérèse : « Je souffre ! »
Céline : « Tant mieux ! »
Un peu plus tard, c’est Pauline qui voit Thérèse éventer doucement le crucifix qu’elle a placé près d’elle sur l’oreiller.
Pauline (off) : « Vous vous êtes remis ensemble ? »
Thérèse (très bas) : « Le pauvre, il est un peu seul. »
Avec beaucoup de délicatesse, Alain Cavalier montre ainsi l’humanité d’une jeune religieuse malade et que le doute désempare parfois alors qu’elle voudrait donner tant d’amour aux autres au nom de l’Amour qu’elle voue à Jésus-Christ.
Au début d’un projet longuement mûri, Alain Cavalier avait d’abord pensé à Isabelle Adjani. Mais c’est Catherine Mouchet qui incarne Thérèse. Aux yeux du réalisateur, elle redonne à la carmélite les traits d’un visage moins figé, tel qu’il apparaît sur les photographies prises par sa sœur. Alain Cavalier a longuement contemplé ces portraits. On peut songer au propos de Dreyer : « Il existe une ressemblance étroite entre une œuvre d’art et un être humain. » Le portrait de Thérèse par Alain Cavalier révèle les traits originaux d’une certaine spiritualité chrétienne. Au spectateur de saisir alors, s’il le peut, l’essence de la vie intérieure de cette « petite » Thérèse qui est venue après la « grande » Thérèse d’Avila. Une sainte-Thérèse qui a tracé, avec l’offrande de sa vie pour l’Amour de Jésus, sa pratique de l’oraison, sa dévotion à Marie et sa conception pacifique de la mission, les repères d’une « petite voie » qui a fait d’elle l’une des rares femmes docteurs de l’Église catholique avec ces mots si doux et beaux de l’Amour pour Jésus et le Monde.
Ta face est ma seule richesse
Je ne demande rien de plus
En elle me cachant sans cesse
Je te ressemblerai, Jésus…
Laisse en moi la Divine empreinte
De tes Traits remplis de douceurs
Et bientôt, je deviendrai sainte
Vers toi j’attirerai les cœurs.
Afin que je puisse amasser
Une telle moisson dorée
De tes feux daigne m’embraser
Bientôt de ta Bouche adorée
Donne-moi l’éternel Baiser !
La rigueur et le dépouillement qui caractérisent Thérèse préfigurent la suite de l’œuvre d’Alain Cavalier : Vingt-quatre portraits, documentaire tourné en 1990, surtout Libera Me (1993), mais aussi Georges de La Tour, un court-métrage documentaire réalisé en 1997, et Vies en 2000. Le cinéaste n’a cessé depuis de s’intéresser au portrait. Intéressé, avec La Rencontre, présenté à Locarno en 1996, par la vidéo et les petites caméras, il a filmé son autoportrait dans Le Filmeur.
Objet unique dans le cinéma français, Thérèse créa surprise et étonnement lors du Festival du film de Cannes en 1986. Il était en compétition avec Down by Law de Jim Jarmusch, Le Sacrifice d’Andreï Tarkovski et Mission de Roland Joffé. Le dernier film du cinéaste russe reçut le prix spécial du Jury ainsi qu’un prix de la meilleure contribution artistique au festival. Les images spectaculaires des jésuites de Roland Joffé furent couronnées par la Palme d’or. Thérèse ne fut distingué que par le Grand Prix du Jury. La carmélite montrait encore le chemin : c’est bien la petite voie cinématographique qui conduit le plus sûrement au grand art voire à une image de la sainteté. « Que mes films fassent frémir une eau dormante à l’intérieur d’un cœur », confiait récemment Alain Cavalier. La symbolique de l’eau a été explicitée par Gaston Bachelard : « Pour l’imagination matérialisante », écrit-il dans L’Eau et les Rêves, « la mort de l’eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l’eau est infinie. »
La grâce du cinéma d’Alain Cavalier souffle ici comme la force de la vie sur l’eau morte. Ce regard sur Thérèse la découvre tout à sa joie d’offrir sa vie pour l’Amour du Christ. Il s’agit bien de celle qui disait : « Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la Terre. » Sans rien dissimuler de l’humanité de la future sainte, le film d’Alain Cavalier révèle l’espérance qui s’incarne dans cette jeune fille pleine de vie promise à l’éternité à cause de la simplicité de son abandon au grand Amour.