À l’occasion de la sortie en version restaurée de Cléo de 5 à 7, Agnès Varda nous reçoit dans ses bureaux à la devanture rose de la rue Daguerre. Un entretien sous forme de balade sur les plages du souvenir où l’on croise en cours de route Cléo, Jacques Demy, Michel Legrand, Jean-Luc Godard ou encore Delphine Seyrig… Femme aux multiples vies, Agnès Varda évoque aussi, au milieu de ce puzzle d’images cinéphiles, quelques unes des œuvres créées pour sa nouvelle exposition : « Triptyques atypiques ».
Entre votre exposition Triptyques atypiques à la galerie Obadia, l’exposition Agnès in Californialand à Los Angeles et la ressortie de Cléo de 5 à 7, vous avez une actualité bien chargée !
Agnès Varda : Après la photographie et le cinéma, je suis aujourd’hui dans ma troisième vie, celle de visual artist, je préfère ce terme à celui d’artiste plasticienne. Et parallèlement, ressortent des films de ma « deuxième vie » de cinéaste, comme Cléo de 5 à 7. Je trouve amusant de me dire, cinquante deux ans après, qu’il faut faire encore un peu de promotion. En tout cas, je suis très contente que le film ne soit ni abîmé ni amoché par le temps.
Cinquante-deux ans après, quel regard justement vous portez sur ce film ?
Je suis encore d’accord avec ce film et sa construction. Je ne vois pas pourquoi je renierais quelque chose qui m’a plu et qui correspond vraiment à ce que j’ai toujours voulu faire dans le cinéma : créer des histoires qui partent de rien, qui sont des matières de cinéma et non simplement des illustrations d’histoires ou de romans. Pour Cléo, que je voulais radical, je m’étais fixée une double contrainte. Je voulais que le film se passe en tant réel et que le trajet de l’héroïne soit lui aussi réel. Avec ces obstacles, le jeu était de réussir quand même à créer une histoire avec de l’émotion pour que le spectateur soit au plus près de cette femme qui a peur d’avoir un cancer. C’était une expérience formidable pour moi et culottée. Jamais je n’aurais pensé que le film serait bien reçu. Même s’il n’a pas eu de prix à Cannes, il a été demandé dans le monde entier. Le film a fait forte impression quand il est sorti alors qu’il n’était pas du tout comme les autres productions de la Nouvelle Vague. Je pense toujours que le meilleur de mes films est Sans toit ni loi, qui sera restauré aussi. Ce film est aussi très dur. Il brouille les frontières du réel et pose la question de la perception du monde entre un spectacle que l’on attrape brut et sa mise en scène par la fiction. Mais très régulièrement c’est Cléo que l’on cite.
La critique de l’époque vous avait surnommé « la grand-mère » de la Nouvelle Vague, surnom qui vous est resté. Mais êtes-vous vraiment d’accord avec ce terme ?
On m’a appelé « grand-mère » de la Nouvelle Vague après mon premier film, La Pointe courte, réalisé en 1954. À l’époque, tous les Truffaut, Godard n’avaient pas encore tourné. Mon film était tellement radical qu’il n’a pas été du tout revendiqué par les garçons des Cahiers du Cinéma, plus sensibles aux propositions du cinéma américain. Je n’étais pas du tout dans leur groupe de réflexion et de pensée. Mais quand tout le monde s’est mis à faire des films, j’ai aussi été embarquée par des producteurs, comme George de Beauregard, qui se disaient que l’on pouvait faire des films pas chers et rentables avec des jeunes. Mais je n’avais pas grand-chose en commun avec les réalisateurs de la Nouvelle Vague, ou peut-être seulement avec Godard, à cause de sa radicalité. J’étais dans mon coin, dans cette maison rue Daguerre. Je ne voyais pas cela comme un groupe. En somme, on m’a appelé « grand-mère » parce que j’avais commencé avant tout le monde. D’ailleurs j’avais trente ans quand on a dit ça. Maintenant je serais quoi, dinosaure de la Nouvelle Vague (rires) ?
Vous faîtes d’ailleurs un petit clin d’œil aux réalisateur et acteurs de la Nouvelle Vague dans le court-métrage que l’on voit dans Cléo… Pourquoi aviez-vous inséré ce petit film qui coupait la narration ?
Au trois-quarts du film, j’avais peur que le spectateur s’ennuie face à l’histoire de Cléo donc j’ai fait un petit intermède dans une cabine de projection, un petit film burlesque où j’ai réuni Jean-Claude Brialy, Samy Frey, Eddie Constantine, Yves Robert et Danièle Delorme autour d’Anna Karina et de Jean-Luc Godard. J’ai réussi à lui faire enlever ses lunettes, il a de très beaux yeux ! La rareté de ce film burlesque, c’est de voir les yeux de Godard. On connaissait déjà le charme d’Anna Karina et des autres acteurs. Mais le scoop, c’était de voir les yeux de Jean-Luc.
Pour ce film, vous avez aussi collaboré avec Michel Legrand avec qui vous aviez déjà écrit « La Chanson de Lola » pour Jacques Demy…
Je voulais que Cléo soit chanteuse. Alors je lui ai écrit des chansons avec Michel Legrand. Dans le film, Michel présente à Cléo plusieurs morceaux dont « Sans toi ». J’aimais cette idée que si Cléo mourrait sans avoir aimé ou avoir été aimée, cela serait encore plus dramatique. « Et si tu viens trop tard, on m’aura mise en terre » chante-t-elle. Je voulais que le personnage de Cléo réagisse, qu’elle se révolte et quitte son apparence de beauté futile pour devenir une femme qui sort et qui regarde les gens. La clé d’une réconciliation avec le monde, c’est de regarder les autres. Cléo va alors regarder sa copine modèle, un petit soldat avec qui elle va parler. Elle n’est pas en train de guérir, sa peur ne va pas partir pour autant mais il me semble qu’il y a quelque chose de paisible qui s’installe en elle. Jusque-là elle était très admirée mais très seule avec son miroir. « Mon miroir est cassé, je vais mourir » dit-elle. Elle a toujours peur après. Mais elle est dans la vie en étant sensible à la vie des autres. Cette idée est récurrente dans mes films, même dans Les Plages d’Agnès – qui est soi disant un auto-portrait –, je parle surtout des autres. Une clé pour une relative paix, un relatif équilibre, une relative acceptation de la vie, c’est d’être tourné vers les autres.
C’est un peu la démarche que vous avez aussi dans vos documentaires ?
Quand je tourne un documentaire, je prends mon temps, j’écoute. Je pose beaucoup de questions. J’essaie de suivre mes intervenants pendant un moment. J’aime bien les autres. Il y a sûrement aussi une forme de curiosité. Quoi qu’avec les mendiants et les glaneurs, je ne demandais jamais d’où ils venaient, parce que l’on rentrerait dans une telle douleur… même si certains en parlaient quand même.
Vous les prenez au temps présent en somme…
Exactement. Et au temps présent qu’est-ce qu’on peut partager ? Des histoires. Je préfère le dialogue au questionnaire. Je parle de mes enfants, de ce que j’ai vu ou rencontré. Un dialogue se noue et les éventuelles questions nécessaires au documentaire se glissent naturellement.
Dans Cléo de 5 à 7, le personnage incarné par Corinne Marchand est atteint d’un cancer. Est-ce que c’était un parti pris uniquement dramatique ou cela avait une résonance dans la société de l’époque ?
Au moment du tournage, effectivement, le cancer était une peur collective. Après, il y a eu la peur du nucléaire, du Sida. Au moment où j’ai fait le film, les gens étaient donc effrayés par le cancer. Non pas qu’ils en aient moins peur maintenant, mais j’ai l’impression qu’à cette époque, cette peur était encore plus aiguë. Georges de Beauregard, qui était quelqu’un de superstitieux, m’avait d’ailleurs avertie « il ne faut pas dire le mot cancer ». Je lui ai répondu que c’était quand même le sujet du film. Alors il m’a autorisé à le faire dire une seule fois, lorsque Cléo rencontre le jeune soldat en permission.
Vous évoquiez le Sida, maladie que vous êtes l’une des premières aussi à évoquer, dès 1987, dans Kung Fu Master, avant votre très fort témoignage dans Les Plages d’Agnès où vous parlez de la mort de Jacques Demy…
Les Plages d’Agnès c’est un film qui me concerne, qui concerne la vie de Jacques Demy, c’est un témoignage simple… Quant à Kung Fu Master, j’avais vu, sur la télé anglaise, une émission très crue sur le Sida. Elle montrait comment mettre des capotes à des téléspectateurs à huit heures et demie du soir. J’ai acheté les droits pour inclure un extrait dans Kung Fu Master. Quand j’ai tourné ce film, c’était le moment où il commençait à y avoir des couvertures de journaux sur le Sida. Disons que le sujet a vraiment éclaté dans la presse en 1987. Mais il a souffert d’une omerta pendant longtemps…
Vous êtes aussi l’une des premières cinéastes, en France, à avoir évoqué la guerre d’Algérie. Est-ce que le sujet était tabou à l’époque ?
Il n’y avait pas de censure à proprement parler. Contrairement aux Américains, on a du mal, en France, à parler d’événements importants à chaud. Pour ma part, je trouvais intéressant, non pas d’opposer mais de juxtaposer la peur de mourir du cancer et la peur de mourir à la guerre. Lorsque l’on voit des jeunes qui sont beaux, on ne veut pas qu’ils meurent. L’extrême beauté de Cléo donne envie qu’on la protège. Car la mort de la beauté, c’est comme si on tuait symboliquement l’idée de Beauté. C’est un thème classique dans la peinture, dans la littérature. On n’aime pas voir tomber un bel arbre. On n’aime pas voir quelqu’un écraser de belles fleurs… C’est peut-être naïf de dire ça. Chacun a son idée de la beauté. On n’a pas envie qu’elle soit abîmée.
Dans votre exposition Triptyques atypiques, vous mettez en scène la phrase de Lautréamont « beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Est-ce que cette citation est pour vous l’expression de la beauté justement ?
J’aime ce non-sens qui a du sens. Ma génération a été très marquée par le surréalisme. Mon exposition Triptyques atypiques étant basée sur le chiffre trois, j’ai pensé à cette citation de Lautréamont, très présente dans ma mémoire, qui réunit trois objets. Je me suis amusée à la figurer, car je voulais, à côté des photos et vidéos de l’exposition, habiter aussi l’espace de la galerie. On parle « d’installation ». J’ai donc installé une table, une machine à coudre et un parapluie un peu déchiré. Qu’est-ce qu’on recherche les artistes ? Toutes les beautés justement et voilà une définition de la beauté. J’aime aussi beaucoup cette définition d’André Breton « La beauté sera convulsive ou ne sera pas ».
Quoi qu’il en soit, je recherche plutôt la réconciliation : du noir & blanc et de la couleur, des photos argentiques et du numérique, de mes jeunes années et de maintenant. Dans l’exposition, on trouve des photographies prises en 1950 et d’autre faites il y a deux mois. C’est à la fois une continuité de ma propre vie et un mélange qui me correspond bien. J’aime aussi mélanger la fixité de la photographie avec le mouvement de la vidéo. Devant une photo, on se pose mille questions : à quoi il pense ? Qui il est ? En faisant des volets vidéos à côté d’un portrait argentique, je nourris la réflexion, donne des réponses. La photo montre une jeune fille avec des cheveux dans le vent. À côté, les vidéos présentent des éoliennes, ces très beaux bijoux modernes, qui tournent sans s’arrêter.
Ce qui nous ramène, comme dans Cléo, à cette problématique du temps…
Le problème du temps, qui est un problème de cinéaste, je l’ai exploré dans Cléo et dans d’autres films. Dans Les Glaneurs, j’avais ramassé une pendule sans aiguilles. Et je posais la question : « Est-ce que le temps passe quand il n’y a pas d’aiguilles ?» La réponse est oui ! Le temps passe quand même, mais les aiguilles ne tournent pas. Cette question du temps m’a toujours beaucoup fascinée. C’est le problème de tout le monde peut-être, en tout cas de tous les artistes.
Dans Les Cent et Une Nuits vous allez même encore plus loin en mettant en scène un Monsieur Cinéma qui doit lutter contre l’oubli ?
Les Cent et Une Nuits était une façon drôle de célébrer le centenaire du cinéma que personne n’a comprise car les gens pensaient que je faisais un film de commande. Je voulais un peu rire de toutes ces célébrations sérieuses, historiques, lourdes de sens. Je pensais que je pouvais faire une comédie où l’on se tromperait, où l’on pourrait dire des faux titres, où les acteurs viendraient saluer Piccoli en se moquant de lui. Je me suis beaucoup amusée à le réaliser. Jamais je n’aurais pensé faire tourner Belmondo, Gina Lolobrigida, Deneuve avec De Niro, Depardieu, Delon. J’étais contente d’avoir toutes ces visites. Mais ça n’a pas plu. Vous savez, on n’aime pas trop que je fasse des comédies. Je n’ai pas le droit, ce n’est pas moi. Il faut que je fasse des films sérieux qui ont du sens, des films sociologiques ou engagés.
Vous pensez qu’il est très dur, en France, de changer de registre ?
Malheureusement oui. Il est arrivé la même chose avec la comédie de Chantal Ackerman Demain on déménage ! Le film n’a pas marché non plus parce qu’il ne faut pas que Chantal fasse des comédies. Je pensais que Les Cent et Une Nuits ferait rire les gens. Mais bon, il y a une expression qui dit « on ne peut pas plaire à tout le monde, même à son père ».
Est-ce que vous avez l’impression que les femmes cinéastes doivent lutter encore plus pour s’imposer ?
Quand on me demande « Est-ce que c’est difficile d’être une femme dans le cinéma ? », je réponds que c’est surtout difficile de faire un cinéma radical. Personne n’a jamais dit « c’est pas mal pour une femme ». On dit : « c’est nouveau ou c’est pas nouveau », « elle s’est plantée », « c’est bien »… J’ai toujours tenue à être considérée comme cinéaste avant tout. Dans ma vie privée, oui j’ai été militante féministe bien sûr ! Mais je n’ai pas voulu faire un cinéma militant, mis à part avec le film L’une chante, l’autre pas, qu’on va restaurer d’ailleurs. Ce film racontait la lutte des femmes. Ce n’était pas seulement moi qui était militante, c’était surtout ce récit de la lutte pour le droit à la contraception qui me semble tellement évident, tellement scandaleusement évident que cela me paraît aujourd’hui encore aberrent que les femmes ont dû se battre pour l’avoir. Je ne vous parle même pas de l’avortement…
Vous étiez aussi très proche de Delphine Seyrig qui avait notamment fait un documentaire délibérément féministe Sois belle et tais-toi !…
J’étais très amie avec Delphine Seyrig. Elle était très militante, très joyeuse et très intelligente. C’est ce que j’ai aimé dans le militantisme des femmes dans les années 1970. Tout se faisait dans une incroyable bonne humeur ! Nous chantions, les filles portaient des robes à fleur. Il y avait quelque chose de baroque ! L’ambiance s’est ensuite durcie parce que les problèmes étaient plus graves. On n’a pas envie de rigoler avec les femmes battues ou les mutilations… Dans ma vie, j’ai connu des femmes qui ont avorté dans des conditions atroces, j’ai connu des évolutions des mœurs chez les femmes et les hommes, dans la société. J’ai connu la guerre aussi, la Libération, des Allemands dans les rues de Paris. Là maintenant, avec le recul, les souvenirs s’apaisent, mais il y a eu des moments difficiles, des problèmes aussi pour financer mes films ou ceux de Jacques Demy… Il en a vraiment souffert sur la fin de sa vie. Surtout qu’il avait eu un tel succès avec Les Parapluies de Cherbourg, Peau d’Âne… Et un succès extraordinaire aux États-Unis. Jusqu’à Model Shop qui a été, lui, un insuccès. Et ça, ils ne pardonnent pas aux Amériques.
Pourquoi, d’ailleurs, n’a‑t-il pas réalisé, là-bas, le musical hollywoodien qu’il avait toujours rêvé de faire ?
C’est le mystère de Jacques qui n’a pas profité de l’opportunité qu’il avait. On lui avait proposé des ballets, de la chorégraphie des orchestres. Il pouvait faire ce qu’il voulait, préparer le film pendant six mois. Il a été pris je pense d’une nostalgie de la France. Il a fait un film provincial français. Model Shop est très beau mais le manque de succès a compromis sa carrière aux États-Unis. Comme quoi, le mystère des gens est complet et pourtant je partageais sa vie. C’est d’ailleurs pour ça que je fais des puzzles incomplets. Dans le grand puzzle de la rencontre d’un autre, il manque toujours des pièces. Je n’en saurai pas plus sur vous que sur la situation en Arménie que sur Jacques Demy ou que sur ma propre pensée. Il manque des pièces et cela s’accentue d’autant plus que je perds doucement la mémoire. J’ai parlé avec un ami américain hier soir. Il m’a rappelé ce moment où tous les acteurs français étaient à Los Angeles, Anna Karina, Montand, Signoret… Il me racontait un déjeuner où nous étions tous réunis. Quand il m’en a parlé, je m’en suis souvenue effectivement, mais j’avais effacé ce souvenir de ma mémoire. Les pièces du puzzle, il va en manquer de plus en plus.
Vous avez réalisé trois films sur Jacques Demy. Est-ce que, pour vous, le cinéma est aussi une manière de garder le maximum de pièces de puzzle en mémoire ?
J’ai réalisé Jacquot de Nantes parce que je voulais faire connaître l’enfance de Jacques Demy qui était si importante pour lui. J’ai réalisé ensuite Les demoiselles ont eu 25 ans dont je me rappelais du tournage et puis j’ai fini avec L’Univers de Jacques Demy. Jacquot de Nantes étant une fiction, il fallait le pendant documentaire sur son travail cinématographique. C’était si dur d’être séparée, qu’avec ces films, j’étais encore un peu avec lui. Dans Les Plages d’Agnès, quand je dis « dès que je pense à des morts, cela rebondit sur la mort de Jacques », c’est tout à fait vrai. Il est le plus important de mes morts. Quelle que soit la vie qu’on ait eue avec ses manques, ses ratés parfois… J’ai trouvé très dur que le couple s’arrête. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à Jacques et là je n’ai pas la notion du temps. On m’a posé la question récemment et j’ai calculé que cela faisait vingt-quatre ans que Jacques Demy est mort. La notion du temps est très spéciale. Quand vous pensez encore à quelqu’un, le temps ne passe pas de la même manière. J’ai continué à habiter la même maison, la même cour, la même cuisine, le même lit. C’était à la fois douloureux et agréable.
Et vous n’avez jamais envisagé de tourner les scénarios inédits de Jacques Demy ?
Les projets de Jacques ? Jamais ! Si son fils Mathieu veut tourner un film de Jacques, pourquoi pas.… Mais moi jamais. Je n’ai jamais souhaité m’immiscer dans ce monde à lui qui était particulier et que j’aime beaucoup.
Chacun avait son intimité créative ?
Il y a un très beau texte où il dit « dans la création, on est tout seul ». Et il le dit là, de l’autre côté de la cour. On travaillait tous les deux de chaque côté de cette cour de 4 mètres. On lisait nos scénarios quand ils étaient finis mais on n’intervenait pas pendant le travail. On se parlait beaucoup, on allait beaucoup au cinéma ensemble. On parlait de cinéma tout le temps !
On parlait de ces liens entre mémoire et cinéma. Vous avez toujours porté de l’importance à la restauration et à l’édition de vos films ou de ceux de Jacques Demy. Mais pensez-vous que la nouvelle génération a toujours ce goût pour la cinéphilie et la redécouverte de classiques ?
J’ai rattrapé les jeunes au moment des Glaneurs et la glaneuse. J’étais un peu vieillissante dans l’esprit des gens. Ce film a touché beaucoup de personnes car il touche à l’écologie et à des sujets de société actuels. Le thème du film, qui était plus grand que moi, a vraiment parlé aux jeunes qui se sont mis à avoir de la curiosité pour mon cinéma. Les Plages d’Agnès aussi ont beaucoup plu. Et là je ne sais pas, est-ce qu’ils iront revoir Cléo ? Certains l’étudient à la fac, mais est-ce qu’ils iront le voir comme un film ? Mystère. Je sais que quand on a ressorti les films de Jacques Demy, comme Lola, La Baie des Anges ou Les Parapluies de Cherbourg, il y a eu une vraie envie de voir les films en salles, sur grand écran. C’est quand même autre chose que sur un ordinateur… Maintenant les gens regardent les films, la plupart du temps, sur un ordinateur parfois même sur un écran plus petit comme les iPad ou les téléphones portables… Je pense qu’il y aura toujours un plaisir incomparable à revoir un film sur grand écran, d’autant que les copies DCP numériques sont splendides !