Javier Packer-Comyn, directeur artistique de Cinéma du Réel, nous a une nouvelle fois accordé de son temps pour parcourir la programmation de cette 34ème édition du festival. L’occasion de piocher ici et là de précieuses informations sur les nombreuses découvertes à venir, ainsi que quelques réflexions sur l’état actuel du cinéma documentaire.
Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours, et plus particulièrement de ce qui vous a amené au documentaire ?
J’ai longtemps travaillé en Belgique, qui est une belle terre d’accueil pour le cinéma documentaire, notamment par le biais de l’INSAS. Bruxelles est une ville extraordinaire avec une très bonne cinémathèque, et une simplicité dans les échanges, le débat. Ce n’est pas un milieu culturel qui se nourrit de sa propre posture, donc c’est un espace assez libre pour penser et découvrir, et surtout découvrir avec humilité, ce qui est pour moi une condition principale aujourd’hui pour réussir à approcher l’histoire du cinéma. Bruxelles est également une ville très à l’écoute des propositions, que ce soit celles des artistes ou des programmateurs. Je me suis occupé d’un festival qui s’appelait « Filmer à tout prix », avec Micheline Créteur qui nous a quittés depuis, et c’est elle qui m’a amené pour la première fois à Paris en 1991 pour assister à des projections de Cinéma du Réel. Ces deux festivals avaient déjà à l’époque un réseau commun, en termes d’approche documentaire mais aussi d’amitié. J’ai donc participé à l’élaboration de « Filmer à tout prix » pendant quelques années, et en parallèle, je me suis occupé d’une structure de diffusion de cinéma documentaire qui s’appelait « Le P’tit Ciné » (et qui existe toujours d’ailleurs). Nous organisions plusieurs projections par mois, à la Cinémathèque, dans des salles classées art et essai ou des maisons de la culture, ce qui permettait des approches très variées du documentaire. Je pense que nous avons fait un travail assez cohérent durant la dizaine d’années où je m’en suis occupé. Après, en ce qui concerne mes premiers émois documentaire, en dehors du Monde du silence ou des documentaires sur les requins qui ont été à un moment donné très populaires dans les salles, j’ai pu par le biais de la Cinémathèque de Bruxelles découvrir très tôt des films importants pour moi, grâce à une programmation très rigoureuse et une approche nourrie par le réel et la fiction. Un des moments charnière pour moi fut la découverte du travail de Frederick Wiseman, qui m’a également ouvert à bien d’autres choses. Mais il faut être honnête : lorsque vous prenez le train à quinze ans pour aller à la rétrospective de Wiseman, c’est bien que cela constitue un choc pour vous.
Quelles sont les pistes ou thématiques qui se dégagent à l’orée de cette 34ème édition de Cinéma du Réel, notamment concernant les films en compétition ?
C’est difficile de dissocier les films en compétition du reste de la programmation. En tout cas, comme chaque année, nous avons réceptionné beaucoup de candidatures de films provenant du monde entier, entre 2000 et 2500, et je dois dire que cette fois-ci particulièrement, nous avons reçu très peu de films que l’on pourrait considérer comme étant des « erreurs de casting ». C’est-à-dire que l’identité du documentaire est peut-être en train de s’affiner, contrairement à ce qui se passe par exemple à la télévision, où elle a tendance à véritablement s’élargir, puisqu’il y a eu soi-disant une augmentation d’environ 10% de production de documentaires l’année dernière, notamment grâce à « l’apport », et j’insiste sur les guillemets, de la TNT. De notre côté, nous avons senti une vraie hausse de qualité quant à ce que nous avons reçu.
Nous avons donc établi notre programmation, et j’insiste également sur le terme de « programmation » qui ne veut pas dire « sélection », car pour moi la sélection est plus large que cela. Il y a des films que nous n’avons pas programmé, mais qui étaient très intéressants, après il se pose la question de la nécessité de montrer tel ou tel film, et c’est là que le choix s’opère. Construire une programmation, c’est donc aussi établir des connexions, des affinités avec les films, choisir des questionnements de cinéastes dont on se sent proche ou sur lesquels on a envie de les interroger. En tout cas, je perçois dans les films que nous avons choisis un regain de pensée. Ce sont des films qui n’ont pas été dominé par leur outil. Nous sommes là face à des cinéastes qui expérimentent, qui ont une conscience très précise de leurs choix et une très grande exigence par rapport aux « fondamentaux » du documentaire : la place du cinéaste, les choix techniques, de focale, de caméra, etc… On peut constater par ailleurs un peu partout une attirance pour les nouveaux matériels type appareil photo numérique. Aucun matériel n’est par essence mauvais, mais j’ai tendance à m’en méfier un peu car ce choix est parfois fait pour de mauvaises raisons, pour se conformer à une esthétique préexistante, et non pas dans la logique de choisir un matériel qui soit en lien avec ce que l’on veut raconter et la façon dont on veut le faire. Il y a une phrase de Godard qui disait : « Rien ne sert d’avoir une image nette si les intentions sont floues. » Les cinéastes que nous avons sélectionnés ont véritablement opéré des choix cinématographiques, pensés et mesurés dans leur rapport au monde, avec un gros travail d’observation préalable, d’interprétation et d’écriture à partir du réel, et certains d’entre eux tirent clairement leur travail vers l’imaginaire ou la fiction.
Ce que j’observe également, c’est qu’un certain nombre de cinéastes en compétition entrent en résonnance avec la notion de résistance, de lutte, qui est aussi un des autres aspects de la programmation hors-compétition. Bien sûr, nous n’avons pas décidé de faire un festival qui se base uniquement sur la notion de l’engagement et du combat, mais l’on sent que c’est une thématique qui préoccupe les cinéastes, tout comme la question du changement. On retrouve en tout cas ces questionnements aussi bien dans des films très personnels que dans des films plus collectifs. Il y a également un rapport à l’Autre, à l’éthique qui est très fort dans la plupart des films, ce qui est véritablement important pour moi, avec un grand respect pour les cultures qui sont étrangères aux filmeurs, pour la spécificité de la culture de l’Autre. L’image et le cinéma sont de très beaux outils pour la reproduction de vieux réflexes coloniaux, et je suis content de voir que chez les cinéastes il existe un véritable souci d’échapper à cela, et de trouver l’image juste pour parler de l’autre, et je pense notamment au film de Juan Manuel Sepúlveda (Leçons pour une guerre). À noter également que nous avons encore deux films tournés en 16 mm, celui de Ben Rivers (Two Years at Sea) et de Nicolas Rey (Autrement, la Molussie), ce qui, en regard de ce que je disais précédemment, est tout de même surprenant.
Justement, vous l’évoquiez à demi-mot tout à l’heure, il y a donc une partie de la programmation qui est consacrée à des cinéastes engagés politiquement et historiquement, comme John Gianvito, Dick Fontaine et Susana de Sousa Dias.
Comme je le disais, je ne me suis pas levé un matin en pensant : « l’édition 2012 du festival sera politique ou ne sera pas », mais cela faisait déjà un petit moment que j’avais envie de parler de John Gianvito, et l’occasion s’est présentée puisqu’en novembre dernier il a achevé la réalisation d’un des segments d’un film collectif intitulé Far from Afghanistan. Gianvito fait donc partie de ces cinéastes qui ont un vrai regard sur l’Amérique, mais vue de l’intérieur. C’est toujours un problème avec les États-Unis, cette difficile connexion à établir entre la politique intérieure et extérieure, les américains sont très au fait de la politique intérieure, et nous, nous sommes plus en contact avec la politique extérieure. Par exemple, dans Profit Motive de John Gianvito, et c’est là aussi qu’un écrivain comme Howard Zinn avec ses livres sur l’histoire des États-Unis est très important, il réussit à nous faire comprendre clairement comment l’Amérique s’est construite, avec cette jonction entre l’intérieur et l’extérieur.
Susana de Sousa Dias a, quant à elle, réalisé des films très intéressants sur la question des archives, notamment sur celles de la police politique des quarante-huit années de la dictature de Salazar avec 48, pour lequel elle a remporté le Grand Prix de Cinéma du Réel en 2010. Il me semblait important de l’inviter, car l’on voit bien aujourd’hui que le traitement des archives au cinéma et à la télévision souffre d’un véritable déficit de pensée. Il y a eu un petit sursaut avec Apocalypse, qui a fait six millions de spectateurs à la télévision, mais qui aurait exigé un peu plus de réflexion. Il est malvenu de critiquer ce type d’exemple, mais il faut bien prendre conscience que l’on n’insulte pas le spectateur en réclamant plus de pensée sur le traitement des archives. Moi, j’aime bien le football, si quelqu’un me dit que c’est un sport d’imbéciles, je n’ai pas l’impression d’être blessé dans le fond de mon âme. Je pense donc qu’il est important, notamment par rapport à ce film, d’amener au sein de Cinéma du Réel un minimum de réflexion, pour véritablement questionner ce qui se passe entre un spectateur ou un cinéaste et une archive. Il n’est pas simple de convoquer une image du passé en cinéma, qui plus est lorsqu’elle est chargée politiquement, et c’est véritablement là que se trouve l’intérêt de l’œuvre de Susana de Sousa Dias. En ce qui concerne Dick Fontaine, un cinéaste qui n’est pas très connu, c’est quelqu’un qui a beaucoup filmé la musique, et notamment le jazz aux États-Unis, donc forcément des films liés aux mouvements sociaux et raciaux. Il a filmé le procès de Norman Mailer, il a également fait un film sur les Black Panthers. Il a été le premier cinéaste anglais à filmer les prémices du mouvement hip-hop à New-York.
Nous avons également élaboré un programme au contenu plus ouvertement politique avec Nicole Brenez, puisqu’il s’agit de mettre en avant des cinéastes combattants. Ce sont des cinéastes qui prennent la plume, le tract ou les armes, et qui nous emmènent de la jungle du du Venezuela jusqu’aux chantiers de Saint-Nazaire. Des cinéastes qui ont été très importants à une époque dans la circulation des idées révolutionnaires, et aussi dont on a un peu perdu la trace, ou qui ont été oublié. L’objectif est donc de remettre en avant des gens comme Tobias Engel ou Jean-Michel Humeau, comme une sorte de devoir de mémoire d’un cinéma engagé. D’autant plus que l’on programmera également des cinéastes d’aujourd’hui, dont trois films de Clarisse Hahn, une plasticienne dont le travail sur le corps est passionnant. Un cinéma qui nous provient donc de partout, de l’Irlande du Nord, la Guinée, sur le Front Polisario au Sahara, du Mozambique, les Sandinistes au Nicaragua, du Salvador… Encore une fois, ce sont des films où la forme est très importante, mais il s’agit avant tout de cinéastes dont les films nous « réveillent » encore aujourd’hui.
Avec également un autre point de la programmation plus directement en lien avec l’actualité, à travers la séance spéciale « Arrested Cinema », consacrée aux cinéastes assignés à résistance.
Oui, au passage j’en profite pour souligner que nous avons programmé des séances sur le cinéma politique italien des années 1970, une époque charnière où l’apparition de la vidéo a permis à des cinéastes de capter plus librement les mouvements liés aux idées utopistes. Nous pourrons donc voir des films de Vittorio De Seta, Alberto Grifi, de Marco Bellocchio, de collectifs féministes, etc… C’est compliqué de tout résumer en neuf films, mais ce sera l’occasion de découvrir quelques chefs-d’œuvre comme Anna, un long-métrage de plus de trois heures. L’idée était donc de proposer une radiographie de la société italienne des années 1970. Avec l’apport technique de la vidéo, notamment pour Diario di un Maestro, où De Seta filme une autre manière d’enseigner sous la forme de quatre programmes d’une heure, qui avaient à l’époque fédérés des millions de spectateurs devant leurs téléviseurs. Pour revenir à ce que je disais sur Apocalypse tout à l’heure, il ne faut pas balayer d’un revers de la main le fait de réunir six millions de personnes devant leur téléviseur, car l’on voit avec De Seta qu’il était possible à l’époque de leur apporter une véritable réflexion, de susciter de la pensée chez ces téléspectateurs.
En ce qui concerne « Arrested Cinema », nous souhaiterions ouvrir chaque année un espace pour tous ces cinéastes « empêchés » à travers le monde, afin d’en dresser progressivement une cartographie. On sait finalement assez peu qu’il y a des cinéastes biélorusses qui sont arrêtés, ou un réalisateur tibétain en prison depuis six ans. On oublie facilement qu’il y a des endroits du monde où être cinéaste est un véritable engagement, qui peut mettre en danger sa propre liberté. C’est difficile d’en parler, car évoquer ce genre de sujet à travers une manifestation culturelle, c’est parfois mettre en péril des espoirs de libération, ou aggraver une situation déjà précaire. Il y a pourtant une nécessité d’en parler, même si l’écho médiatique peut être néfaste, je pense notamment à tout ce qui peut se passer parfois autour du Festival de Cannes, c’est pourquoi nous souhaitons en faire un rendez-vous régulier, et pas juste un coup de projecteur ponctuel. Nous allons donc garder un œil attentif sur tout ce qui se passe durant l’année. Le fait est que les événements qui se déroulent actuellement en Syrie nous ont donné envie de dédier cette première séance aux cinéastes syriens. Nous travaillons donc en collaboration avec la réalisatrice syrienne Hala Alabdalla et Oussama Mohammed pour organiser ce programme, et l’on montrera quatre films terminés très récemment, dont un portrait de la ville de Homs avant les événements qui s’y déroulent actuellement. Il y aura également d’autres sources d’images, nous accorderons une place à des vidéos enregistrées par exemple avec des téléphones portables car, même si tout manifestant ne se revendique pas d’être cinéaste, il y a là des choses qui par la force de l’événement même deviennent des images de cinéma que l’on a envie de transmettre.
Est-ce par le prisme de cette idée de résistance que vous avez eu envie de programmer un retour sur Pater d’Alain Cavalier ?
Pour être franc, j’en ai un peu assez d’entendre dire depuis la palme d’or pour Entre les murs de Laurent Cantet que la fiction peut se nourrir du réel, et que depuis lors il y a la fiction d’un côté et de l’autre le documentaire, qu’il y a un grand mur entre les deux, quelques check-points, et que de temps en temps un cinéaste peut passer de l’un à l’autre. Cette vision ne correspond pas du tout à la mienne, et Pater permet d’établir que cette vision ambivalente est dépassée, qu’il y a d’autres manières au cinéma d’envisager la construction du personnage, fût-elle improbable, mais qu’au bout du compte elle nous raconte beaucoup plus sur notre rapport à l’image du pouvoir et au cinéma lui-même qu’un strict clivage entre fiction et documentaire. Ce film nous questionne sur la façon dont, depuis la naissance du cinéma direct par exemple, notre rapport à l’image a évolué. De plus, j’ai senti chez Charlotte Garson, proche collaboratrice du festival, une envie de revenir sur ce film qui, étant sorti très rapidement dans les salles après son passage à Cannes, n’a pas eu de véritable carrière en festival, donc pas de possibilité de propager un débat sur le long terme. Nous avons contacté Alain Cavalier, qui porte également le désir de dialoguer avec le public sur ce film, qui pourra le questionner sur sa manière de travailler.
Vous parliez de l’évolution du rapport entre le spectateur et l’image, ce que la rétrospective des « 20 ans de l’ACID » va nous permettre de constater sur pièce.
Oui, c’est drôle, d’ailleurs nous étions partis sur l’idée de « 20 ans/20 films », finalement nous en avons retenu 23, mais c’est un grand plaisir que de pouvoir les montrer. L’ACID a aidé à la fabrication d’environ 500 films, et pour l’occasion nous avons choisi de programmer aussi des œuvres de fiction ou expérimentales. Donc, oui, en une vingtaine de films, nous allons assister à cette petite histoire, avec par exemple le film de Vitali Kanevski (Nous, les enfants du XXème siècle), qui à l’époque avait suscité un réel débat sur l’éthique et la place du cinéaste – nous allons d’ailleurs essayer d’exposer les articles de journaux écrits lors de sa sortie en 1994 – et de voir ce que cela pourrait produire aujourd’hui. Kanevski est un cinéaste sur lequel j’aimerais un jour revenir plus longuement, car un film comme Bouge pas, meurs, ressuscite est une œuvre très importante pour beaucoup de documentaristes. Ces « 20 ans de l’ACID » constituent pour moi comme une sorte de vidéothèque idéale.
Vous avez décidé de donner suite aux ateliers, consacrés l’année dernière à la caméra, et cette fois-ci au son.
Oui, il me paraissait important, après le succès remporté par ces ateliers l’année dernière, de poursuivre dans ce sens. Nous nous sommes aperçus que beaucoup de gens avaient envie d’entendre parler les chefs-opérateurs, les cadreurs sur la façon dont on fabrique un film. La question du son est particulièrement pertinente aujourd’hui car, tout comme avec la caméra, la technique nous donne l’impression que tout est possible, que la pensée, le choix peuvent être remis à plus tard. Il est surprenant de voir à quel point certaines personnes ne sont pas du tout attentives à la perception du son, alors qu’il y est tout même question de montage ou de mixage. Comment pense-t-on le son dans la fabrication d’un film ? L’occasion également de revenir en compagnie de Daniel Deshays sur l’histoire du son au cinéma.
Et dans le prolongement de ces ateliers, la musique est à l’honneur également, avec « Écoute voir ! »
Oui, c’est un programme qui est en place depuis plusieurs années, qui questionne le rapport et le travail de la musique dans le cinéma documentaire. Le travail musical de Dick Fontaine, dont on parlait tout à l’heure, en fait partie, mais il y a aussi trois films consacrés aux moments de création d’un musicien. Nous avons Le Prince Miiaou, avec la musicienne Maud-Élisa Mandeau filmée par Marc-Antoine Roudil, qui essaie de trouver, de composer le son pour son nouvel album. Ce serait tellement facile pour elle de composer de la « chansonnette », mais l’on sent que c’est une artiste qui a une véritable exigence, qui est dans une recherche permanente par rapport à son travail. C’est pour moi un film qui développe l’écoute, alors que nous vivons dans une époque baignée par les flux d’images. Il y aura également la projection de Joy de Julien Sigalas, qui suit le processus d’enregistrement studio d’un album de l’ancien leader du groupe Venus. Ce travail de la pensée à l’œuvre dans la musique, donc indirectement par rapport au son et au cinéma, tisse selon moi des liens troublants avec les cinéastes programmés par ailleurs dans notre festival.
Toujours dans la continuité, « Contre-Bande » donne suite à la programmation les « Invisibles » de l’année dernière.
Lors de la précédente édition, nous avions demandé autour de nous des titres de films qui paraissent actuellement invisibles. Nous avons eu droit à tous types de réponses, ceux qui disent : « Avec vingt sorties par semaine, tous les films sont devenus invisibles ! », ou encore : « Tout film en 16 mm, car il n’y a plus beaucoup de moyens de les projeter », et d’autres ont véritablement parlé de films disparus, introuvables. Certains nous ont répondu qu’il y avait tel ou tel film qu’ils n’avaient jamais pu voir. On avait donc cerné cette question de l’invisibilité sous plusieurs angles, le plaisir étant avant tout de permettre à des gens de découvrir des films qu’ils n’avaient jamais vus. Nous avons décidé de demander à Adriano Aprà de nous proposer un film oublié de l’histoire. Il a choisi une œuvre intitulée Préhistoire des partisans, un film collectif japonais de 1969, un documentaire sur la contestation étudiante au Japon, qui proteste contre la visite aux États-Unis du Premier ministre nippon. C’est un film absolument incroyable, parfaitement étonnant, dont on ne comprend pas vraiment comment il a pu échapper à la cinéphilie française. Ce genre de films représente, pour le festival, de gros investissements en matière de sous-titres, chose dont on ne se rend pas forcément compte lorsque l’on regarde la programmation. Nous pouvons encore nous offrir aujourd’hui le luxe de les projeter avec des sous-titres français, espérons que cela puisse être le cas pour les années à venir. Il faut également noter que nous sommes un des rares festivals où l’on peut garantir que les films sont vus avant sélection, nous ne faisons pas de tri sur synopsis, nous prenons en charge la venue des cinéastes, et nous aidons, voire parfois finançons intégralement la création des sous-titrages, ce qui aide à faire circuler les films par la suite.
D’ailleurs, le festival Cinéma du Réel a connu cette année quelques difficultés au niveau budgétaire.
Oui, il serait naïf de penser qu’un festival de cinéma, comme toute autre institution, n’est pas affaibli par la crise. Partout, le secteur culturel est touché par les difficultés financières. Heureusement, la France est un pays qui met encore la culture au centre de ses valeurs, ce qui ne semble par exemple plus être le cas en Hollande, où certains budgets ont été amputés de 30%, ou bien en Angleterre, où les institutions doivent faire appel à des financements privés qui se substituent à l’État. Donc il est vrai que nos soutiens financiers font face à une stagnation, voire une diminution de leur budget. Mais l’aspect positif de la chose, c’est que ces structures, malgré leurs difficultés, continuent à nous soutenir, ce qui est une très grande marque d’estime et de confiance. Ce n’est malheureusement pas le cas partout. La difficulté pour nous aujourd’hui réside dans la recherche de nouvelles possibilités de financements, notamment dans le secteur privé où la crise a également fait des siennes. Envisager la possibilité d’un mécénat, aujourd’hui, sur un festival de notre taille, me paraît très compliqué. Je parle de crise, car je vois bien qu’aujourd’hui, certaines ambassades ou structures culturelles étrangères, qui nous aidaient au niveau de la prise en charge de la venue de certains cinéastes, ne peuvent plus nous soutenir, faute de budgets suffisants. Mais ces crises sont aussi une opportunité formidable d’affiner ce que l’on fait, de remettre en cause notre travail et la façon dont on le construit, sans perdre de vue que l’on travaille pour les films et pour le public.