Aux commandes du Festival International du Documentaire de Marseille depuis huit ans, l’exigeant Jean-Pierre Rehm innove et poursuit un travail de laborantin. Avec pour seuls guides les films, d’où qu’ils viennent.
Qu’est-ce qui vous guide dans l’élaboration de la programmation ?
Il existe des films complètement en dehors des circuits classiques, qu’on ne connaîtrait pas si on n’allait pas les chercher. Les films de Pierre Creton (ndlr : son film Maniquerville, en compétition internationale, a reçu le prix Marseille Espérance) par exemple, à la fois contrôleur laitier et cinéaste… il n’aurait jamais eu l’idée de les proposer à un festival. Dans mon travail de sélection, j’essaie d’être aimant, attentif… Je rejette le christianisme misérabiliste sur lequel est assis le documentaire en général. Ça me fait horreur. Ce n’est pas une posture mais un vrai engagement politique. La seule lumière qui me guide, ce sont les films. C’est toujours un cheminement, les choses bougent en cours de route. Pour la programmation Les Spectres de l’Histoire (dans la section Écrans Parallèles), j’avais comme idée initiale d’évoquer la chute du mur de Berlin. Depuis, le spectre de Marx est en liberté un peu partout ; l’idée était de se demander où. Initialement, j’avais donc intitulé cette programmation Nom de code KM. Mais finalement, en visionnant les films, ce que je retenais c’est une présence spectrale qui en émanait. Le titre a donc changé.
Les sélections du FID sont définitivement tournées vers la peinture de l’homme, l’homme derrière la fange, l’homme dans l’histoire… En revanche, vous réfutez le terme d’humanisme…
On ne peut plus aujourd’hui parler d’humanisme sans en référer à la célèbre Lettre sur l’humanisme d’Heidegger, en réponse à la fameuse conférence de Sartre, en 1945, L’existentialisme est un humanisme. Pour lui, la définition de l’humanisme c’est la connaissance de l’homme. Moi je pense que l’humain a besoin pour naître de faire naître cette chose incompréhensible qu’est l’art, parce que c’est incompréhensible. L’art est la preuve même de l’inhumanité de l’homme, dans un double sens : d’abord, que l’être humain ne s’appartient pas, et aussi la preuve de son côté horrible, terrible. Dans les films qui m’intéressent, je fuis le militantisme hérité des années soixante-dix où on assène des soit disant vérités sans contrepoint. Les films, ce sont des aventures artistiques, l’art n’y est pas une plus-value.
Pendant les projections, deux films sont souvent présentés ensemble. Comment ce choix se fait-il ?
D’abord, il y a des contraintes d’horaires. Ensuite, je m’oppose au fait de ne pas rapprocher des films, de les prendre uniquement comme des objets indépendants. Présenter deux films ensemble, en présence de leurs auteurs, ça fabrique toujours quelque chose, des échos entre les deux œuvres. C’est le cas par exemple pour Madame Butterfly de Tsaï Ming Liang et Nahied = Venus de Parisa Yousef Doust. Il n’y a que deux plans chez Tsaï, un gros travail de montage chez Parisa. Dans un film, une femme se perd. Dans l’autre aussi. Dans l’un, il n’y a pas de musique, dans l’autre, il y a comme une portée musicale avec cette répétition de cimes d’arbres filmées rapidement depuis la fenêtre d’un train.
Le FID a innové cette année, notamment avec le lancement du FidLab. Comment est née cette idée ?
Je ne voulais pas que le festival soit un simple endroit de diffusion. Je ne crois pas à la fonction festivalière « feu d’artifice » : on fait un événement sur six jours et après on oublie les films ! Je voulais mettre en place un véritable travail d’accompagnement. Cela fait environ dix ans que les festivals, y compris Cannes, ne font plus de véritable suivi. Ils sont devenus des lieux de diffusion à part entière. C’est bien et dangereux à la fois, car la précarité menace la précarité. Je voulais que le FID soit aussi un lieu d’affirmation des possibles et pas seulement de rendez-vous. L’esprit du FidLab – et du FID en général – c’est aussi de faire parler des films qui habituellement sont obligés de se taire alors qu’ils ont tant à dire. Les projets sélectionnés au FidLab, tous dans des états d’avancement différents, font l’objet d’une présentation publique d’une heure. Les producteurs intéressés se signalent et nous organisons des rendez-vous avec les auteurs. Cette année c’était un peu un test, nous n’avions pas de budget dédié au FidLab, mais à l’avenir on va solidifier l’expérience.
Y a‑t-il des films, des surprises, des découvertes que vous retenez particulièrement de cette 20ème édition ?
Tout ! Sinon je ne me fatiguerais pas à faire ce travail…