Dix minutes de silence pour John Lennon | © Les Films du Losange
47e Cinemed

47e Cinemed

de Raymond Depardon, Cyril Aris

  • 47e Cinemed
  • Lieu : Montpellier
  • Date : Du 17 au 25 octobre 2025
  • Infos : https://www.cinemed.tm.fr/

47e Cinemed

de Raymond Depardon, Cyril Aris

Depardon à Montpellier


Depardon à Montpellier

Les cérémonies d’ouverture des festivals de cinéma sont rarement passionnantes. De celle de la 47ᵉ édition du Cinemed, on retiendra tout de même un geste : celui de Raymond Depardon, appelé à se lever de son siège sous les applaudissements nourris du public, qui brandit son appareil photo en guise de salutation. Le festival programmait cette année une rétrospective intégrale des films du photographe-cinéaste, pour la plupart réalisés en tandem avec sa compagne Claudine Nougaret, productrice et ingénieure son. Le geste simple de Depardon émeut parce qu’il dit la porosité entre les deux pendants de son œuvre. Ses premiers films, constitués majoritairement de plans-séquences, révèlent son sens extraordinaire du cadrage et de la composition. Dans Dix minutes de silence pour John Lennon, présenté au sein d’un programme de courts métrages, le cinéaste filme le rassemblement spontané de milliers de New-Yorkais dans Central Park au lendemain de l’assassinat du chanteur. En une seule prise, Depardon saisit une succession de portraits il s’immobilise quelques secondes sur un visage, puis passe au suivant. L’aisance avec laquelle il pose ses cadres est surprenante ; les glissements d’une vignette à l’autre sont d’une fluidité parfaite, comme si chacune avait été soigneusement préparée. Le mouvement continu de la caméra trouve son acmé à la fin où, après s’être arrêté sur des jeunes perchés dans un arbre, il épouse la trajectoire lointaine, dans le ciel, d’un hélicoptère dont on entendait le son depuis le début, sans le voir. Le plan embrasse la douleur de l’instant, ressenti dans sa durée et sa pesanteur par l’intense silence de la foule, rendu pourtant assourdissant par ce bruit constant venu des airs.

Cette manière de filmer comme on prendrait une photo est au cœur de son premier long, 1974, une partie de campagne, dans lequel Depardon suit la campagne victorieuse de Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle. Le cinéaste accompagne le candidat à travers la France au gré de meetings, réunions ou plateaux d’émissions. Les plans séquences épousent plus que jamais la dynamique du photographe tournoyant autour du candidat, essayant différentes positions, captant les lumières ou des détails dans la profondeur du champ. Ils donnent à voir ce désir de tirer le meilleur cadre des situations, grâce à la légèreté de la caméra 16 mm. L’intérêt du dispositif tient dès lors à ce qu’il reflète moins le discours de la campagne (qui n’est jamais vraiment abordé) que sa part de spectacle, due au désir du candidat de faire image. Mais Depardon dépasse cette dimension performative pour cerner les zones d’ombres de son sujet, sans cesse renvoyé à une écrasante solitude et à la vacuité de ses interactions. Preuve s’il en fallait de l’ambiguïté qui en découle : Giscard d’Estaing, pourtant commanditaire du film, interdira sa sortie jusqu’en 2002.

L’enjeu de la distance apparaît aussi à travers le propre rapport de Depardon aux situations qu’il saisit, et ce de manière plus frappante encore dans Faits divers, où il suit les interventions de la brigade de police du 5ᵉ arrondissement de Paris. Le cinéaste n’interagit jamais avec les policiers qu’il talonne, et eux-mêmes semblent oublier la présence de la caméra. Cet effacement du filmeur au profit des filmés est devenu une donnée centrale de son cinéma, comme dans la trilogie des Profils paysans, tournée au tournant des années 2000 bien qu’il s’y mette en scène par le biais d’une voix off. « Je cherchais à devenir un parfait abat-jour, un parfait portemanteau » raconte-t-il avec humour lors de la masterclass donnée au début du festival. Dans ces trois films, on est surpris par la confiance gagnée auprès des paysans dans l’intimité desquels il s’invite et par la manière, là encore, dont la caméra semble s’effacer pour saisir leur quotidien. Les films de Raymond Depardon, tous restaurés, ressortiront en salles dans l’année à venir.

Permis de rêver

Côté compétition, mentionnons la première fiction du cinéaste libanais Cyril Aris, Un monde fragile et merveilleux, qui ambitionne de figurer la persistance du sentiment amoureux au fil d’un récit courant sur une trentaine d’années. Son duo de personnages, Nino et Yasmina, semble traverser les accidents de la vie pour mieux se retrouver, avec en toile de fond les turbulences de la politique libanaise. Outre la singularité de son usage récurrent de la très longue focale, favorisant l’émergence de compositions irréelles qui matérialisent les rêveries des personnages, le film captive lors de quelques moments où le cinéaste fait s’entrechoquer plusieurs régimes d’images et de matériaux sonores. En confrontant le poids du contexte historique à la romance de Nino et Yasmina, ces scènes mêlent souvenirs, rêves, évocations visuelles et auditives dans un même élan de montage. Par le jeu des collisions qu’orchestre toujours un festival, on se prend même à trouver qu’il s’agit là d’un inattendu contrepoint au travail de Depardon.

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