Le nouveau film de Jeff Nichols, déjà le cinquième, confirme la pente descendante empruntée par le cinéaste depuis Mud. Loving s’ouvre pourtant sur une très belle scène, où une femme (Ruth Negga) annonce à son compagnon (Joel Edgerton) qu’elle est enceinte. Alors que le contrechamp sur l’homme laisse supposer que les personnages se font face, le sourire qu’il adresse à sa droite nous indique au contraire qu’ils se tiennent l’un à côté de l’autre. Ce que confirme le plan qui suit, où le couple occupe ensemble le centre du cadre, uni et heureux. Cet enchaînement de plans, à la finesse classique et à la beauté rentrée, est tout ce que l’on attend de Jeff Nichols, qui s’est imposé en une poignée de films comme le futur héraut d’un minimalisme rigoureux. Problème, cette séquence s’avère aussi le climax émotionnel et formel du film, là où il devrait plutôt constituer sa norme pour que Nichols confirme, après un Midnight Special qui nous avait déjà laissés un sentiment mitigé, qu’il a bien les épaules pour remplir toutes les promesses de ses deux beaux premiers films, Shotgun Stories et Take Shelter. Or Nichols continue, après Mud et Midnight Special, d’épurer dramatiquement ses films. Ce qui, disons-le sans détour, nous comblerait pleinement si son écriture était à la hauteur pour magnifier de petits riens narratifs en de grandes vagues émotionnelles. De son sujet (le combat d’un couple interracial pour pouvoir vivre dans sa Virgine natale), Nichols choisit d’atténuer les situations les plus fortes (arrestations, emprisonnement, accident) et recourt à des manifestations minimales (une voiture, une brique trouvée sur un siège d’automobile, un bruit de moteur) pour signifier le danger qui menace ses personnages. Mais cet évidement des événements est aussi à double tranchant : le film abonde de plans platement illustratifs ou convenus (tels ceux qui composent la séquence illustrant le passage de cinq années en une minute) et s’en remet à des procédés plus pauvres – un montage alterné entre une pierre qui tombe et une voiture qui heurte un enfant –, loin de l’épure précise et minutieuse attendue.
La limite du film est double. D’une part, si la mise en scène de Nichols témoigne parfois d’une inventivité fugace (un plan unique sur un arbre mal enraciné lors de la découverte du nouveau logement de la famille), elle s’attache surtout à répéter les mêmes motifs, à l’image de ces barreaux et striures en arrière-plan qui marquent l’impossibilité du couple à vivre librement. De l’autre, Nichols semble presque avoir trop confiance en ses moyens, se permettant de filmer par dessous la jambe certaines séquences, par exemple le procès final, réduit à deux plans (l’un sur le visage de l’avocat, l’autre sur sa nuque), lorsqu’il ne décide tout simplement pas de figurer la joie ou l’émotion d’une situation clef par un seul échange de regard. D’où la beauté seulement théorique du film, en cela très proche de Midnight Special : ce qui se joue est bouleversant, la manière dont Nichols cherche à atteindre l’expression la plus simple des choses nous séduit, et pourtant le film demeure un objet irrémédiablement froid et frustrant, loin des sommets qu’il semble pouvoir atteindre. Plusieurs hypothèses, à creuser en attendant de le revoir lors de sa sortie en salles : soit Nichols n’a encore pas trouvé la forme idéale pour faire passer l’émotion avec si peu d’effets, ou bien faut-il que son cinéma se décrispe un peu et accepte de se confronter plus frontalement à ce qu’il met en œuvre. En tout cas tel est le paradoxe avec Nichols : il a beau nous avoir déjà autant déçu que conquis, on attend toujours beaucoup de lui, tant la voie qu’il cherche à creuser est précieuse.