Il serait malaisé de situer Alice et le maire sur le continent largement balisé du film prenant « l’arène politique » pour objet. Il se dérobe à certains traits caractéristiques du genre et, notamment, sur le terrain attendu de l’antagonisme entre idéalisme et pragmatisme, au récit d’initiation alliant fascination pour les rites du pouvoir et perte de l’innocence. Nul cynisme ici, plutôt le constat mesuré d’un ensemble d’ « écarts » qui minent l’exercice du pouvoir ; écart entre le politique et la vie des « gens », entre la théorie et la pratique, entre le signifié et le signifiant. La collaboration des deux personnages donne corps à un espoir de complétude, sur fond d’une opposition qui rejoint celle du contenant et du contenu : le maire (Fabrice Luchini), politicien chevronné, se décrit comme un moteur sans carburant, mû uniquement par la force d’inertie, tandis qu’Alice (Anaïs Demoustier), normalienne égarée, ne sait pas quelle mission remplir. Embauchée par la mairie, elle se voit simplement chargée d’apporter « des idées ».
La modestie
Le générique d’ouverture indique d’emblée la trajectoire du film : après avoir suivi le regard surplombant qu’Alice pose sur la ville depuis la fenêtre de son appartement, on accompagne la jeune femme jusqu’à son bureau en empruntant une série de passages sinueux et de portes, comme autant de sas qui matérialisent la distance entre le maire et ses concitoyens. Il n’est pas anodin qu’au terme de ce trajet, le nom du réalisateur, Nicolas Pariser, s’inscrive sur le seuil de la porte (ouverte) du bureau. De fait, le film – et c’est ce qui fait son relatif intérêt – ne fait pas naître de la rencontre entre Alice et le maire une véritable symbiose, qui viendrait remédier à leur impuissance politique (leur collaboration se soldera d’ailleurs par un échec). Leurs discussions, qui se tiennent toujours dans un entre-deux, dans les interstices autorisées par l’agenda surchargé du maire, ne tendent pas vers un point d’accord mais plutôt vers une forme de déprise, comme s’il s’agissait avant tout de faire l’apprentissage des limites inhérentes à la discussion comme à l’exercice du pouvoir. Le maître-mot est celui de « modestie », qui fait l’objet d’une note rédigée par Alice : prendre conscience des limites du politique, c’est aussi se garder d’une forme de radicalité dans l’appréhension de la vérité (de sa compagne, qui voit l’humanité courir à sa perte, un personnage dit ainsi : « Je ne sais pas si elle est lucide parce qu’elle est folle, ou si elle est folle parce qu’elle est lucide »). C’est enfin accepter la part de vérité de l’autre, et le film s’attarde sur l’entrechoquement de deux solitudes qui s’apprivoisent (d’où l’image du pont, qui sert de transition entre le film et son épilogue, ou encore la substitution d’un plan d’ensemble qui réunit les héros aux champ-contrechamps initiaux).
Il n’en demeure pas moins que le film ne satisfait pas complètement ce modeste projet, trop souvent emporté vers d’autres fronts, comme la satire un peu lourde du jargon des communicants et autres gestionnaires. Certes, il est bien question de substituer à l’horizon de la communication celui d’une parole plus juste, plus riche (et qui soit sienne : de lecteur de discours, le maire deviendra auteur). Mais tout cela reste assez théorique, les échanges tournant le plus souvent à vide, sans jamais se hisser à la hauteur du modèle rohmérien (assumé, jusque dans le titre). Reste Luchini (qui retient décidément l’attention dans ce festival, après une apparition furtive mais appréciée dans le Jeanne de Bruno Dumont), qui, au détour d’une poignée de séquences, donne un peu de chair à une déprise dont le film manque cruellement.