Share, premier film de l’américaine Pippa Bianco, décrit les tourments d’une jeune fille (Rhianne Barreto) suite à la diffusion d’une vidéo enregistrée lors d’une soirée dont elle ne se rappelle rien et qui laisse penser qu’elle a été abusée sexuellement. Le film s’ouvre sur un fond noir, balayé par des nappes de lumière de diverses couleurs, sur lequel se détachent finalement les contours d’un arbre. La jambe d’une jeune femme se dessine alors dans l’obscurité, à demi enfouie sous les branches. S’ensuit un film déroutant, qui suscite en premier lieu un franc rejet du fait de la platitude avec laquelle il aborde son sujet, alternant la reconstitution de l’événement par des fragments d’images, virales et sales (en cela qu’elles ont été prises par des témoins qui ont manifestement laissé faire ce qu’ils filmaient) avec le récit peu inspiré du cheminement post-traumatique de la jeune fille. Share est ensuite peu à peu travaillé par une belle idée, menée à son terme de façon souterraine et presque malgré lui : celle d’un accès à l’événement traumatique qui passerait par la confrontation du regard de son personnage avec la lumière de l’instant enfoui.
Du trou noir au halo jaune
C’est que de l’événement en question, Mandy ne garde d’abord que les quelques taches sur sa peau. Avertis, ses parents la poussent à engager une thérapie qui consiste à recevoir frontalement une série de flashs lumineux, censés l’aider à se le remémorer. La séance se solde par un échec à l’image du rideau blanc, clos, qui lui succède. Ce n’est qu’un peu plus tard que Mandy traverse ledit rideau, juste avant de s’enfoncer, dans le plan suivant, vers un sous-sol où se tient une fête baignée d’une lumière bleue et où une confrontation avec un des garçons prend place. Avant qu’elle ne le frotte sous la douche comme pour éliminer la couleur dont elle s’est virtuellement enduite, c’est ce même bleu qui recouvre le visage de Mandy lors d’une autre scène de thérapie. Share se clôt enfin, avec une justesse étonnante, sur la suppression d’une vidéo envoyée par un garçon rongé par la culpabilité. On y distingue Mandy allongée sur la banquette arrière d’une voiture, manifestement éméchée, riant : au moment où le jeune homme l’embrasse, la caméra qu’il tenait se déporte sur le pare-brise arrière pour ne cadrer plus qu’un halo de lumière jaune.
L’arbre qui cache le refoulé
La trajectoire du film semble ainsi procéder à un retour vers sa séquence primitive, d’autant que le motif de l’arbre est lui-même largement repris. Ainsi, alors que Mandy joue à un jeu vidéo, elle opère un brusque demi-tour avec la voiture qu’elle dirige jusqu’à percuter un arbre, mettant fin à la partie. Le film organise par la suite un discret jeu de motifs sur les arbres, qui circulent du premier au second plan au gré des tourments de l’adolescente et de ses parents : il en va ainsi d’un plan de la famille attablée, à peine perceptible derrière une fenêtre où se reflètent des branchages, ou plus tard, le même reflet de branches sur le pare-brise arrière d’une voiture qui se mêle à aux cheveux des parents). De sorte que pour convoquer le souvenir de l’événement, la jeune fille doit se rendre entre-temps au pied de l’arbre sous lequel on l’avait trouvée allongée.
Troublante image, alors, que celle du shooting photo d’étudiants qui se trouve avoir pour arrière-plan un groupe de palmiers dans la nuit. Le film semble ainsi s’écrire malgré lui et dire incidemment, par petites touches, la nature trouble de la lumière qui nimbe les séquences réunissant les adolescents. Comme une angoisse sourde.