Parmi les nombreux premiers films français que le Festival de Cannes nous invite à découvrir, De bas étage, réalisé par Yassine Qnia, apparaîtra assurément comme l’un des plus tenus et rigoureux. Scènes silencieuses et presque intégralement dépouillées de musique, découpage patient et net, refus du spectaculaire : le film, qui suit le quotidien de Mehdi (Soufiane Guerrab), petit braqueur de La Courneuve essayant de renouer avec Sarah (Souheila Yacoub), la mère de son fils, affiche une « maturité » qu’il faut toutefois interroger. Si l’épure apparente de la mise en scène de Qnia permet de prendre le temps de filmer le visage de ses interprètes, à la surface desquels se matérialisent les fluctuations intérieures des personnages, elle n’échappe pas à une certaine artificialité ; le non-dit devient une manière de mimer la profondeur. Mehdi est souvent filmé comme songeur, en train de ressasser ce que l’on devine être les mêmes idées, acculé par une série de problèmes face auxquels aucune solution satisfaisante ne se présente.
La structure de De bas étage assume certes pleinement cette stase – récit d’un échec, il se termine au fond là où il avait commencé, par une scène qui répond à l’ouverture et témoigne de l’absence de réelle progression de Mehdi. Mais on ne peut s’empêcher de voir, de temps à autre, les ficelles derrière l’agencement des scènes et ces silences qui en disent long, voire trop, au risque de rendre les enjeux transparents. Exemple : dans une scène située à la fin du film, Mehdi, après avoir perdu l’appui de son acolyte braqueur, se trouve assis au comptoir d’un bar (cliché du film noir : le héros solitaire, devant son verre de whisky, est seul dans ses pensées). À l’entrée, un jeune homme, avec lequel Mehdi a brièvement travaillé par le passé, est refoulé. Il le regarde, amusé, et on se dit alors que le plan va durer encore une poignée de secondes, que Mehdi, après avoir réfléchi en tenant son verre, va se retourner à nouveau, cette fois plus sérieusement, avec un autre air au visage, qui nous dit « Hum, et si je montais mon prochain casse avec lui ? ». Bingo : la scène se déroule exactement comme prévu, au détail près. C’est le problème des films sérieux et appliqués, mais dénués de mystère : on devine trop rapidement où ils vont.