Dans 8 mile, Curtis Hanson racontait l’ascension d’Eminem, blanc des quartiers défavorisés de Detroit qui gagnait le cœur du public afro-américain des clubs underground, d’abord hostile, par ses improvisations pleines de rage et d’autodérision. Les performances de rap, mises en scène comme des combats, étaient au cœur du récit, et l’émancipation du héros tributaire de l’accomplissement de son écriture et de son flow. Vingt ans plus tard, Down with the King use du charisme d’un autre célèbre rappeur, Freddie Gibbs, dans un récit en miroir : Money Merc, richissime star du gangsta rap, s’isole dans un coin paumé où n’habitent que des blancs et où il trimballe sa carcasse de guerrier las et désabusé. En quête d’inspiration pour écrire de nouvelles chansons, il ne trouve sur son chemin que Bob (Bob Tarasuk), un vieux fermier, et Michaele (Jamie Neumann), vendeuse au magasin de bricolage local. Son amitié pour eux ira crescendo à mesure qu’il rompt avec son monde pour mieux découvrir les joies de la campagne. Celles-ci se manifestent dans un enchaînement de séquences un peu artificielles où, entre autres, Merc salit ses chaussures blanches dans l’enclos des cochons et s’offre le grand frisson du dépeçage de carcasse. À l’humanité des gens du cru sont opposés le ridicule et l’artificialité de son personnage de scène. Celui-ci est figuré par une statue du dieu Mercure détournée – un téléphone à clapet dans une main (symbole du dealer), un walkman dans l’autre (pour écouter « The Message ») – que Merc installe au centre de son immense salon et qui, à deux reprises, va susciter des moqueries.
Le film a la main lourde quand il s’agit de dénoncer l’embourgeoisement coupable du rap, dévoyé du chemin tracé par The Message, l’hymne du rap conscient. L’art de Merc n’est que pacotille : des refrains répétés à l’infini, des pistes instrumentales sans originalité, des clashs qui sont autant d’enfantillages sur les réseaux sociaux, le tout emporté dans un mercantilisme contentant son monde. Son agent (David Krumholtz) pourrait suffire à caractériser la face sombre du mouvement Hip-Hop : « money, money, money » semble-t-il rabâcher à chaque apparition, prenant soin de refermer tous les verrous de la cage dorée dans laquelle il a enfermé son artiste. Merc perd foi en son art, et des bégaiements de textes peu convaincants qu’il murmure encore dans le secret de la nuit, il tombe dans une aphonie pure et simple. Il cesse de rapper. Si 8 mile racontait l’histoire d’une voix qui s’affirme et se fait entendre, Down with the King se fait le récit d’une voix qui s’éteint. Programme bien mortifère que cette émancipation par la mise en silence. Derrière la charge convenue contre l’industrie du rap, se dissimule mal un conte à la moralité très bourgeoise : si Merc se détourne de sa carrière lucrative pour céder aux sirènes d’un retour à la terre, c’est qu’au fond, rapper serait une activité aussi moribonde et peu singulière que n’importe quel bullshit job. Le rap est mort, vive le rap !