C’est pour le moins déçu que l’on sort d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, film plein de promesses non tenues. La durée du deuxième long-métrage d’Arthur Harari, autant que l’incroyable fait divers qu’il met en scène (un soldat japonais, Hiro Onoda, continua de combattre sur une île des Philippines pendant près de trente ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale), avaient pourtant de quoi intriguer. C’est que l’exercice est coûteux, techniquement périlleux, et forcément hanté par l’écrasant modèle conradien d’Apocalypse Now, convoqué ici au moins lors d’un flashback, au moment de recruter un soldat alcoolique et désœuvré pour l’envoyer au fond de la jungle en vue d’exécuter une opération spéciale (ici : mener une guerre secrète en usant de ruses diverses pour harceler l’ennemi). Avant ce premier retour en arrière, le film s’ouvre sur l’arrivée en bateau d’un touriste venu à la rencontre du soldat isolé sur son île. Onoda peine pourtant à figurer le passage du temps ou la solitude du soldat : le personnage principal reste le plus souvent accompagné par une poignée d’officiers relativement bavards, et le film, parce qu’il suit une trame au fond tout à fait conventionnelle (plusieurs périodes d’isolement sont entrecoupées d’ellipses et de quelques flashbacks éclaircissant les motivations d’Onoda), ne parvient jamais vraiment à installer une quelconque sensation de lenteur voire de lassitude.
Plus décevant encore est le cas de la jungle, cadre principal de l’action qui reste en l’état inexploité. Une séquence en particulier montre bien la façon dont le film peine à investir concrètement l’espace dans lequel il se déploie. Lorsque les deux personnages principaux entreprennent de cartographier le territoire sur lequel ils se trouvent, les deux soldats nomment selon leurs envies plusieurs emplacements de l’île. Dans le même temps, le film dresse un état des lieux topographique qui se déploie à contre-temps de leur progression : par exemple, au moment où le compagnon d’Onoda lui demande s’il n’est pas pris de vertige, la caméra met un certain temps avant de montrer le vide qui s’étend face à eux, soulignant le décalage entre la réalité des lieux et la perception de ces protagonistes qui observent le monde à travers des lunettes déformantes (Onoda ne prend pas immédiatement la mesure du gouffre qui s’étend face à lui). C’est ainsi moins l’environnement tropical que la caractérisation des personnages qui prime ici : la jungle d’Onoda n’est pas un espace mais un décor, une toile de fond qui n’influence pas, ou peu, la forme du film. Harari a beau considérer localement la jungle pour ce qu’elle a de profondément spectral, comme dans ces (rares) surimpressions sternbergiennes, qui associent le visage d’Onoda au flanc d’une montagne, aux parois d’une caverne et aux lignes de la végétation, cela reste trop mince au regard de ce qu’un tel fait-divers, dans un tel espace, aurait pu donner en termes de mise en scène. De ce qui peut amener un être humain à se fondre ainsi dans la jungle, nous n’en saurons pas plus à la fin qu’au début du film. Du cinéma d’Arthur Harari non plus.