Les chroniques de mafia régionale italienne, ça nous manquait depuis Gomorra. Francesco Munzi s’intéresse ici à la variété venue de Calabre, la ‘Ndràngheta. Le début du film intrigue immanquablement, par l’osmose savamment entretenue entre deux espaces qu’on a l’habitude de voir déséquilibrés dans le genre, l’un servant d’arrière-plan ou, au mieux, de refuge à l’autre (même dans la trilogie du Parrain) : la ville (Milan) et la campagne profonde (un village de montagne). Le va-et-vient entre les deux décors met en avant à l’écran deux vérités sur son sujet : le caractère tentaculaire de l’ « Onorata Società », bien sûr, mais aussi ses racines profondément paysannes. Ainsi, même un chevrier, resté au village tandis que ses deux frères font leur business criminel à Milan et que son propre fils ambitionne de rejoindre ces derniers, est mouillé jusqu’au cou dans l’organisation (le reste du village n’est guère plus innocent), et son profil bas ne saurait le protéger tout à fait. Les vieilles pierres et les vitres d’immeubles, les chemises sales et les costumes-cravates, le travail de la terre et du vice ne représentent que deux faces historiques de la même entité à la fois archaïque et moderne, aux ressorts complexes et dangereux.
Dommage qu’une fois passé l’établissement de ces terrains et de cette porosité prometteuse, Les Âmes noires ne trouve d’autre issue que sous les fourches caudines des conventions de discours du genre, celles qui dictent que le crime ne paie pas, que le sang appelle le sang jusqu’à une destruction totale, cette seconde partie et surtout le climax ressemblant fortement à une relecture froide et refrénée de Nos funérailles d’Abel Ferrara. Il y a bien ce ton désespéré et crépusculaire, la lutte décrite dans le film étant d’emblée inégale et s’acheminant vers un impitoyable déclin (cela change des décomptes de points des récits de vendettas). Mais cela reste corseté dans un artisanat de film noir certes bien mené, ménageant efficacement la tension et le suspense, sans trop de chichis maniéristes comme son cousin napolitain Gomorra (sauf peut-être dans cette façon de vouloir impressionner avec certains raccords faisant passer du calme à un bruit violent qui n’a en fait rien de menaçant), mais aboutissant à peu de chose que la mémoire cinéphile n’ait déjà bien établi.